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Protection de l’enfance : changer les pratiques après l’affaire Marina

Publié le par Gaëlle Guernalec-Levy

Marie Derain a rendu publiques les conclusions d’un rapport sur l’affaire « Marina » à l’occasion des 7èmes Assises de la protection de l’enfance

Aujourd’hui se clôturent les 7èmes Assises de la protection de l’enfance qui réunissent plus de 2000 professionnels, « décidés à changer ». A changer quoi ? Le système, les pratiques, les réflexes. A l’occasion de ce colloque, la mission d’étude diligentée par la Défenseure des enfants, Marie Derain, a remis les conclusions de son rapport consacré à l’affaire « Marina ».

Marina : du fait divers au traumatisme emblématique

Cette petite fille est décédée à l’âge de huit ans en août 2009 après plusieurs années de maltraitance infligée par ses parents et sans que les multiples signaux d’alerte n’aient permis de la sauver. Le procès du couple survenu en juin 2012, très médiatisé, avait permis de mettre en lumière le calvaire enduré par l’enfant mais aussi les failles du circuit de protection de l’enfance. Des associations avaient dans la foulée porté plainte contre les travailleurs sociaux et contre l’Etat pour non assistance à personne en danger. Elles avaient été déboutées. Le rapport consacré à cette affaire emblématique, rendu par Alain Grévot, spécialiste de la maltraitance, reprend point par point l’histoire de la très courte vie de Marina, dissèque les interventions effectuées par les différentes institutions, revient sur les loupés et formule quelques préconisations. La lecture de ce document passionnant est asphyxiante. D’abord parce que tant de cruauté, d’acharnement et de perversité  à l’encontre d’un enfant laisse sans voix. Ensuite et surtout parce que cette petite fille, examinée par plusieurs médecins scolaires, signalée par des enseignants, hospitalisée, aurait pu tant de fois être sauvée. Elle n’a pas croisé sur sa route des professionnels malveillants, incompétents ou laxistes. Elle a payé de sa vie des logiques contradictoires, des textes parfois trop flous ou mal interprétés, une absence de dialogue entre diverses instances. Ce qui sidère certainement le plus dans cette litanie d’occasions manquées, c’est la façon dont tous ces spécialistes semblent avoir crû sur parole, pendant de longues années, les explications incohérentes des parents de l’enfant. Malgré les traces de coups fréquentes, le visage tuméfié, les absences scolaires répétées, le retard staturo-pondéral, Marina n’a jamais été considérée comme une enfant en danger, au sens de la loi. Le rapport pointe deux types de défaillances : contextuelles et structurelles.

Un décès survenu malgré plusieurs alertes

Contextuelles d’abord. La mère de Marina accouche sous X parce que le père l’a quittée à six mois de grossesse et qu’elle ne peut envisager de garder le bébé. Mais un mois après la naissance, elle change d’avis et reprend l’enfant, comme la loi l’y autorise. Aucun suivi n’est alors mis en place. En 2005, alors que Marina a 4 ans, sa tante et sa grand-mère appellent un numéro vert pour signaler la maltraitance. Appel qui ne sera pas suivi d’effet. En 2006 et 2007 des témoins extérieurs sont témoins de violences mais n’en parlent pas. En 2007, les enseignants de Marina, très inquiets, alertent le médecin scolaire. Lequel voit Marina, en présence de son père, pour une visite « classique » de bilan. Le médecin ne prend visiblement pas en compte les doutes des enseignants. Lorsqu’il s’étonne de l’état de la peau de la petite fille, le père répond qu’elle est suivie dans un hôpital parisien. C’est un mensonge, évidemment. En 2008, l’école émet malgré tout un signalement auprès du parquet. Une enquête est diligentée auprès de la gendarmerie. Enquête pour le moins approximative qui débouche sur un non lieu. En juin 2009, un autre médecin scolaire est tellement alarmé par l’état de la petite fille (plaies purulentes aux pieds) qu’il demande aux parents d’emmener leur fille aux urgences pédiatriques. Dans ce même hôpital un médecin légiste a déjà examiné Marina l’année précédente dans le cadre du signalement. Mais la pédiatrie et la médecine légale ne communique pas. Les pédiatres de l’hôpital n’ont pas connaissance du précédent signalement. Ils excluent très tôt une maltraitance et s’orientent vers une maladie métabolique parce que toutes les lésions sont « expliquées par les parents et confirmées par l’enfant ». En avril 2009, une information préoccupante est transmise au Conseil général. Les travailleurs sociaux chargés d’évaluer les « conditions de vie » de Marina n’ont pas connaissance des éléments antérieurs.

Les angles morts du système

Le rapport de la mission d’étude s’attarde aussi sur les failles « structurelles » du dispositif. D’abord, l’ensemble des interlocuteurs ne s’est pas formalisé de l’absence récurrente du carnet de santé d’une enfant non scolarisée jusqu’à ses six ans. Ensuite, et paradoxalement, le signalement fait auprès du parquet, qui déclenchait donc une logique « pénale », a semblé totalement paralysé le système et les intervenants. Pendant que le Parquet recherchait une infraction pénale, et ne s’interrogeait absolument pas sur les carences éducatives, aucune mesure éducative n’a pu être mise en place, le juge des enfants n’a pas été saisi. Le non-lieu pour infraction insuffisamment caractérisée « va poser une chape de plomb sur l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance durant les mois qui suivent ». Plus personne ne se sent légitime pour évoquer la maltraitance. Ce que relève par ailleurs le rapport est très intéressant : depuis la loi de 2007, le conseil général et les mesures administratives sont au premier plan pour prévenir et détecter les situations de maltraitance. La justice ne doit intervenir qu’en dernier ressort, dans trois cas : si le mineur a déjà été identifié comme étant en danger et que la situation ne s’est pas améliorée, si le mineur identifié en danger ne peut être aidé à cause du refus ou de l’impossibilité de la famille à collaborer, si un mineur est considéré en danger et qu’il est impossible d’évaluer sa situation. Or, l’enquête de gendarmerie –minimale- ne conclut pas à un danger imminent pour Marina et les parents collaborent.

Autre problème de fond abordé par le rapport et régulièrement pointé dans les colloques sur le sujet : « l’évaluation d’une information préoccupante mais aussi les investigations sociales, éducatives et judiciaires reposent sur des attitudes nécessairement « offensives » qui mettent fréquemment mal à l’aise le monde du travail social et médico-social compte tenu de la culture d’aide et d’accompagnement inhérente à ce domaine ». En clair, il peut être très compliqué pour les travailleurs sociaux de concilier la notion de libre adhésion des familles qui constitue pour eux un présupposé et l’ingérence nécessaire lorsqu’il y a suspicion de mauvais traitements. Dans le cas de Marina, la puéricultrice du département intervenue au domicile des parents après la naissance d’un nouvel enfant, s’est concentrée sur sa mission de PMI et non sur l’évaluation de la situation de la petite fille. Le rapport note ainsi : « Au cours de la présente mission, nous avons souvent entendu que l’ingérence dans la vie privée était de la seule compétence de l’autorité judiciaire, celle-ci étant garante des libertés individuelles. Il nous semble important de noter que, selon nous, l’ingérence dans la vie privée familiale ne correspond pas automatiquement à une atteinte aux libertés individuelles ».

Maltraitance : les rapports pleuvent

Le rapport ne préconise pas de revenir sur la loi de Mars 2007 mais d’en clarifier l’interprétation « opérationnelle ». Il propose également la possibilité de conduire en même temps pendant une période limitée  une enquête de police et une évaluation socio-éducative. Autre préconisation : l’établissement d’un référentiel national pour l’évaluation des informations préoccupantes destiné aux personnels en charge de ces évaluations, la généralisation d’ailleurs prévue par la loi de formations communes en matière de protection de l’enfance.

Cette nécessité d’une formation de tous les acteurs de terrain fait également partie des propositions formulées la semaine dernière par deux sénatrices, Muguette Dini et Michelle Meunier dans le cadre de leur rapport d’information sur la protection de l’enfance. Le mois dernier c’est la juriste Adeline Gouttenoire qui a rendu publiques les 40 propositions du groupe de travail formé par l’ex-ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, qui envisageait à l’époque d’aborder la protection de l’enfance dans une grande loi famille. L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) devrait bientôt publier son propre rapport sur la question. Le sujet suscite une abondante littérature. Proposition de loi, textes réglementaires, on ne sait pas encore quelle sera la traduction concrète de toutes ces réflexions.

Source: Défenseure des enfants/Sénat