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Port du masque en crèches : une enquête dévoile ses effets sur les jeunes enfants

Publié le par Hélène Bour

Une psychologue, une puéricultrice et une psychomotricienne ont mené une vaste enquête auprès des professionnels de la petite enfance, pour évaluer les effets du port du masque dans les crèches et autres lieux fréquentés par leurs tout-petits. Les principaux résultats.

Une enquête réalisée auprès de 600 professionnels de crèche

Certains jeunes enfants passent parfois près de 50 heures par semaine en crèche et autres structures d’accueil collectif. On peut donc se poser naturellement la question de l’impact du port du masque par les professionnels qui les encadrent. Car la petite enfance est un âge crucial pour divers apprentissages, notamment au niveau du langage et des compétences socio-relationnelles.

Soucieuses d’évaluer l’impact du port du masque en crèche, quatre spécialistes se sont unies pour conduire une enquête. Il s’agit d’Anna Tcherkassof, chercheuse en psychologie sociale sur la communication émotionnelle non verbale, au laboratoire LIP/PC2S de l’université Grenoble-Alpes, Monique Busquet, psychomotricienne-formatrice, Marie Hélène Hurtig puéricultrice-formatrice, et Marie Paule Thollon Behar, psychologue et docteur en psychologie du développement.

Les premières grandes tendances se dégageant de l’enquête ont été publiées sur le site “Les pros de la petite enfance”, qui a partagé le questionnaire en ligne, auquel 592 professionnels du secteur ont répondu entre le 6 et le 20 décembre dernier.

Après avoir indiqué à quelles occasions ils portaient et ôtaient (le cas échéant) leur masque, les professionnels ont consigné les réactions observées chez les tout-petits. Une distinction a été faite entre le port d’un masque opaque (en tissu, chirurgical…) et d’un masque inclusif (masque transparent laissant voir la bouche).

Des interactions verbales jugées plus pauvres

Compréhension, production du langage (babillages notamment) et qualité d’écoute sont visiblement impactées par le port du masque en crèche.

Marie Paule Thollon Behar, co-auteure de l’enquête, nous a indiqué que les principaux résultats de l’enquête confirment ce que les spécialistes savaient déjà, à savoir que “les enfants cherchent la bouche” lorsque l’adulte parle, et que pour apprendre le langage, on “regarde parler”. L’apprentissage du langage se fait également en grande partie par mimétisme.

“Il s’avère que les jeunes enfants ne font pas qu’écouter le langage, ils le regardent également. En effet, que ce soit quand ils ne comprennent pas, quand ils ne parviennent pas à cerner qui leur parle, ou quand les adultes ne portent pas le masque, les enfants cherchent à regarder la bouche et le visage”, écrivent les auteures de l’enquête.

A noter :

Marie Paule Thollon Behar conseille vivement aux parents dont l’enfant est gardé en crèche d’augmenter les temps d’échanges verbaux à la maison, en face-à-face, sans masque, pour pallier le port du masque par les adultes qui s’occupent de l’enfant durant la journée.

Les professionnels du secteur ont aussi fait état de difficultés de la part des enfants à comprendre les consignes de l’adulte masqué, et à repérer qui est l’adulte qui parle lorsqu’ils sont plusieurs dans une même pièce. Les enfants se sont également avérés moins attentifs pendant les histoires et les chansons lorsque l'adulte encadrant est masqué. A l’inverse, leur attention est accrue lorsque le masque est ôté, durant ces moments d’écoute privilégiée, et bien que cela aille à l’encontre des recommandations sanitaires. 37% des professionnels de crèche avouent enlever leur masque à certains moments pour plus de confort.

“Lors de temps individuels, j'enlève parfois mon masque, je constate une attention accrue des enfants avec un certain apaisement et davantage de réponses”, a déclaré un professionnel du secteur au sujet d’enfants âgés d’un an ou moins.

Le mimétisme serait également bien meilleur sans masque : “J'ai voulu souffler sur une plume. L'enfant (16 mois) regardait les yeux intrigués. J'ai enlevé mon masque pour souffler (pas en direction de l’enfant !), l’enfant a regardé ma bouche avec avidité et a reproduit le geste de souffler”, raconte un autre professionnel.

Entre adaptation, inquiétudes et manque de sourires

Si l’ensemble des professionnels de crèche sondés évoquent une bonne capacité d’adaptation de la part des enfants quant au port du masque, ils “constatent néanmoins des incidences sur les interactions socio-affectives entre adultes et enfants”, et notamment une forme d’inquiétude chez les plus petits.

Le fait que les enfants cherchent très souvent à ôter le masque de l’adulte est significatif du fait qu’ils le vivent comme quelque chose d’insolite”, notent les auteurs. “Surprise, regard interloqué, voire réactions de crainte, et pour les plus petits des pleurs, peuvent être constatés” lorsque les professionnels retirent leur masque.

Les sondés font aussi état d’une baisse de la fréquence du sourire chez les enfants, et constatent que ces derniers sont nombreux à peu ou ne pas sourire. Le mécanisme de sourire-réponse, c’est-à-dire de sourire en réponse au sourire de l’adulte, est également plus long à se déclencher en présence d’un masque. Tandis qu’à l’inverse, le retrait du masque par l’adulte se traduit par un sourire spontané de l’enfant dans plus de 80 % des cas.

“L’interaction entre l’enfant et l’adulte se modifie : le visage de l’enfant s’illumine, le sourire-réponse s’affiche quasi systématiquement et se manifeste plusieurs fois durant le temps de l’échange non masqué”, indique l'enquête.

Un masque qui modifie les pratiques et le quotidien des professionnels

Outre ses conséquences chez les tout-petits, le port du masque chez les professionnels de crèche a aussi un impact réel sur leurs activités et leur confort. Il impose notamment une adaptation permanente et une surcharge mentale, en plus de la contrainte physique. Les professionnels de la petite enfance doivent en effet penser en permanence à la façon dont ils s’expriment pour compenser le port du masque, notamment en accentuant leurs expressions au niveau des yeux, en articulant davantage, en accentuant leurs intonations…

Certains avouent avoir diminué les temps de chansons, comptines et autres lectures du fait de l’inconfort et du manque d’attention de la part des enfants. Quant au fait de devoir parler plus fort pour se faire comprendre, cela augmente le niveau sonore général, ce qui nuit à la qualité de l’ambiance du lieu d’accueil. Et les transmissions entre professionnels ou avec les parents sont parfois plus compliquées du fait des masques.

A plus long terme, les professionnels de la petite enfance s’inquiètent pour le développement des enfants, notamment pour celles et ceux qui évoluent autour d’adultes masqués depuis toujours ou presque. “Acquisitions langagières perturbées, relations intersubjectives altérées, etc., les incidences attendues sur les compétences socio-communicatives du jeune enfant leur apparaissent critiques”, notent les auteures.

Notons enfin que s’il laisse apparaître le sourire, le masque inclusif transparent a aussi ses défauts : inconfort, buée, condensation… Bref, on est loin de la panacée tant espérée.

Les détails chiffrés de l’enquête devraient être publiés prochainement.

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