Les prénoms hommage : trop lourds à porter ?

Publié par Elodie-Elsy Moreau  |  Mis à jour le

Attribuer le prénom d’un grand-parent ou d’un proche, disparu ou non, est une pratique encore fréquente. Mais quel est le poids d’un tel prénom sur l’enfant ? Éléments de réponses avec les spécialistes François Bonifaix, auteur du « Traumatisme du prénom », et Nicolas Guéguen, auteur de « Psychologie des prénoms ».

Prénom : transmettre le nom d’un proche disparu à son enfant

En mars 2015, la star de « Fast and Furious », Vin Diesel, créait un véritable buzz sur les réseaux sociaux et dans les médias en révélant qu’il avait prénommé sa petite dernière Pauline, en hommage à son ami disparu, l’acteur Paul Walker. Un choix salué par les millions de fans des deux stars. Si attribuer un prénom hommage est, au premier abord, une belle et touchante attention, on peut se demander si cela n’est pas sans conséquence sur l’enfant. Pour de nombreux spécialistes, en effet, porter le prénom d’un défunt n’est pas anodin. « Bien sûr, la démarche des parents part d’un bon sentiment. C’est une manière de dire que la vie continue. Lorsqu’on meurt, on tombe dans l’oubli. Redonner le prénom d’un proche disparu est une façon de faire revivre la personne », explique le psychanalyste François Bonifaix. Mais il demeure un problème de taille : « ce choix se fait au détriment de la propre identité de l’enfant », précise le spécialiste. « On répète le prénom pour faire vivre la mémoire de quelqu’un au travers d’une autre personne. C’est une sorte d’exutoire des névroses des parents. Une manière pour eux de faire leur deuil. L’enfant doit se réaliser en acceptant cela », ajoute-t-il.Des risques de souffrances psychologiques ?Au travers du discours de François Bonifaix, une question se pose alors : comment grandir et s’épanouir lorsqu’on porte le poids de la mort ? « Tous les bipolaires ne portent évidemment pas le prénom d’un proche décédé, mais des études ont montré que de nombreuses personnes souffraient de ce trouble à cause du prénom choisi par leurs parents (proche décédé et autres cas) », explique le spécialiste. Mais ce n’est pas tout.  « Françoise Dolto expliquait que les bébés commençaient souvent à souffrir d’insomnie et à pleurer la nuit lorsqu’ils atteignaient l’âge d’un aîné décédé prématurément de la mort subite. Et l’on s’est aperçu, par la suite, que ce phénomène était encore plus important lorsque le bébé portait le même prénom que son frère ou sa sœur disparu(e) », souligne François Bonifaix. « C'est sa façon à lui de répondre à ses parents. Le sommeil répond à la pulsion de mort. En ne dormant pas, en pleurant l'enfant exprime qu'il est en vie, manière pour lui de rassurer ses parents. (…) »1, argumente le spécialiste dans son livre « Le traumatisme du prénom ». Voilà pourquoi, certains psychologues déconseillent fortement aux futurs parents de prénommer leur enfant comme celui d’un aîné disparu.Si cela est moins problématique, « il arrive que les femmes ayant fait une fausse couche donnent à leur bébé le prénom qu’elles avaient choisi lors de leur précédente grossesse. Là encore, les parents peuvent projeter sur l’enfant ce qu’ils avaient imaginé pour celui qu’ils ont perdu », explique François Bonifaix.Parfois, l’hommage se fait en dehors du cercle familial. A la naissance de son fils, Lucie a choisi de donner à son petit garçon les prénoms des jumeaux de sa meilleure amie, décédés à la naissance. Une manière pour elle de consoler son amie endeuillée. « Je ne me voyais pas prénommer mon bébé autrement, c’était une évidence », explique la jeune maman. Mais selon François Bonifaix, « ce choix pourrait mettre l’enfant dans une sorte de « tripolarité ». Il vit tandis que deux enfants ne sont plus là. Cela peut entraîner des questions telles que : pourquoi je vis, et pas les autres… ».Rendre hommage aux grands-parents : une pratique encore couranteJusqu’au XIXe siècle voire début du XXe siècle, dans certaines catégories sociales, les prénoms étaient presque tous transmis. Donner le prénom d’un grand-parent était une pratique ancrée dans la tradition. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce type d’hommage est aujourd’hui plébiscité. « Il y a vingt ans, ces prénoms étaient surtout attribués en 2e et 3e position, mais avec l’essor des prénoms anciens, qui reviennent à la mode, attribuer le prénom d’un grand-père ou d’un aïeul est assez fréquent », indique le psychanalyste François Bonifaix. En effet, les Zoé, Lucien, Joseph et autres Rose sont de plus en plus nombreux sur les bancs de l’école.Notons aussi que dans certaines cultures, appeler un nouveau-né comme un aïeul  est une manière d’inscrire l’enfant dans la lignée familiale. En Corse, rendre hommage à un proche disparu est une véritable coutume. Le prénom se transmet de grand-père à petit-fils, de grand-oncle à neveu. Cette pratique est également fréquente dans le judaïsme. Au contraire, chez certains peuples, « le prénom correspond vraiment au vécu propre de l’individu. Par exemple, les Indiens d’Amazonie changent régulièrement de prénom, aux différents stades de leur vie. Le prénom devient le miroir de l’individu puisqu’il  correspond à ce qu’il est devenu », indique François Bonifaix.Prénom : transmettre le nom d’un vivantComme l’explique le professeur en psychologie sociale et cognitive Nicolas Guéguen, les protestants anglo-saxons attribuent souvent au fils aîné le prénom du père, en y ajoutant, parfois, « Junior ». Comme attribuer le prénom d’un mort, cette « filiation » ne serait pas sans conséquence sur l’enfant. « Des études américaines ont démontré que lorsque les parents faisaient ce choix, ils projetaient sur l’enfant le vécu du père. Lorsque ce dernier réussit ou a réussi dans la vie, l’enfant subit une sorte de pression à l’excellence, qui peut être très mal vécue », explique le spécialiste. Dans son livre « Psychologie des prénoms », le professeur va encore plus loin : « Le fait de posséder le prénom du père pourrait constituer un facteur prédisposant à la maltraitance en raison du niveau d’attente formé par les parents à l’égard de l’enfant. ». Plusieurs études montrent en effet que les parents rejettent leurs frustrations sur celui-ci.Aux Etats-Unis, il est aussi courant que la mère transmette son prénom à sa fille. Des études, également présentées dans le livre de Nicolas Guéguen, ont révélé qu’il y avait une différence d’appréciation du prénom en fonction du sexe. Contrairement aux garçons qui ont le même prénom que leur père, les filles aiment moins leur prénom quand elles portent celui de leur mère. Elles auraient donc davantage le besoin de se singulariser par le prénom. Si en Amérique du Nord, les parents donnent à leurs enfants leurs propres prénoms, dans le Sud, plus précisément au Brésil, les parents composent le prénom de leur bébé en mélangeant le début et la fin de leurs deux prénoms. Par exemple, la fille de Dalia et de Carlos s'appellera Carlia. Si l’on en croit les conclusions des chercheurs et spécialistes, ici, l’enfant doit s’approprier sa propre identité au travers du vécu de son père et de sa mère…Et l’hommage à une star ?Si certains parents attribuent le prénom d’un proche, défunt ou non, d’autres préfèrent carrément rendre hommage à leur idole. Sur ce point, le psychanalyste Nicolas Bonifaix livre un avis plus mitigé. « Si l’on choisit le prénom parce qu’on le trouve à son goût, il n’y a, a priori, pas de problème. En revanche, il ne faut pas projeter son propre  fantasme sur l’enfant. Le choix du prénom est relatif à la réalisation de soi-même. Devenir maman n’est jamais évident, c’est un saut vers l’inconnu. Le côté fan, qui survient à l’adolescence, lorsque nous sommes en pleine recherche de soi, peut alors parfois ressurgir au moment de la maternité », indique le spécialiste. Mais prudence, il ne faut pas s’imaginer que l’enfant sera aussi bon chanteur ou acteur que son artiste préféré.  Par ailleurs, il existe également un jugement lié aux « préférences sociales et culturelles » des parents. Ainsi, ceux qui baptisent leur fils Johnny ou Michael en référence au rockeur français ou au roi de la pop seront souvent raillés contrairement à ceux qui optent pour Armance en référence au premier roman de Stendhal.« Dans tous les cas, choisir un prénom est une belle démarche », explique Nicolas Bonifaix. De rajouter : « on le fait avec une bonne attention, il ne faut juste pas oublier que l’enfant ne nous appartient pas et qu’il a sa propre vie à mener ».1Le traumatisme du prénom, www.psychopsy.com

  • 1/1

    Prénoms lourds à porter

    Prénoms lourds à porter