Jeux pour filles ou jeux pour garçons ?

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Jeu pour fille-jeu pour garçon

Camion ou dînette, laissons-les choisir !

La plupart des catalogues de jouets ont des pages dédiées aux filles ou aux garçons. Loin d’être anodin, cela influence fortement les enfants. Il est indispensable que tous puissent jouer avec l’éventail le plus large possible pour développer leurs capacités.

Chaque année, c’est le même rituel. Dans les boîtes aux lettres et les grands magasins, des catalogues de jouets de Noël s’empilent. Mini-fours, voitures télécommandées, poupées ou jeux de construction, les couleurs sont scindées en deux : rose ou bleu. Pas de nuance, genre “vert-gris” pour les petits gars timides ou “orange vif” pour les fillettes casse-cou. Non. Sur des pages et des pages, les genres sont bien séparés. À elles les dînettes, les nécessaires de ménage ou la panoplie d’infirmière (pas de docteur, faut pas exagérer !) ou de princesse ; à eux les bolides, les tractopelles, les armes et les déguisements de pompiers. À Noël dernier, seul le catalogue des magasins U avait créé le buzz en proposant des jouets qui mettaient en scène les deux sexes. Allant à rebours de l’évolution de la société, depuis les années 2000, le phénomène de distinction fille-garçon s’est accentué.

Des Lego avec de jolies coiffures

Dans les années 90, on pouvait trouver une rouquine ressemblant comme deux gouttes d’eau à Fifi Brindacier, qui présentait fièrement une construction compliquée en Lego. Aujourd’hui, la célèbre marque de jeu de construction, qui était pourtant restée unisexe pendant des années, a lancé les “Lego Friends”, une déclinaison “pour les filles”. Les cinq personnages ont de grands yeux, des jupes et de belles coiffures. Elles sont très jolies, mais difficile en les voyant de ne pas se souvenir des années 80, où l’on jouait des heures durant, filles comme garçons, avec les fameux petits bonhommes à tête jaune, aux mains en pinces et au sourire énigmatique de Joconde… Doctorante en sociologie, Mona Zegaï a remarqué que la différence sexuée dans les catalogues transpire même dans les attitudes des enfants. Dans les photographies présentant les bambins qui jouent, les petits garçons ont des postures viriles : ils se tiennent campés sur leurs pieds, poings sur les hanches, quand ils ne brandissent pas une épée. En revanche, les filles ont des postures gracieuses, sur la pointe des pieds, caressant les joujoux. Non seulement les catalogues ont des pages roses et bleues, mais les magasins s’y mettent. Les allées y sont balisées : deux couleurs de linéaires indiquent clairement le passage aux parents pressés. Gare à celui qui se trompe de rayon et propose un nécessaire de cuisine à son fiston !

Jeux pour filles ou jeux pour garçons : le poids de la norme

Ces représentations des sexes dans les jeux ont une grande influence sur la construction de l’identité des enfants et leur vision du monde. À travers ces jouets, qui pourraient paraître anodins, on envoie un message très normatif : il ne faut pas sortir du cadre social prévu par la société. Ceux qui ne rentrent pas dans les cases ne sont pas les bienvenus. Exit les garçons rêveurs et créatifs, bienvenue les loulous turbulents. Idem pour les petites filles, invitées à devenir ce qu’elles ne sont pas toutes : dociles, humbles et effacées.

Jeux "sexués" : un risque de reproduire les inégalités filles-garçons

Le premier but qu’on assigne aux filles : il faut plaire. Avec force paillettes, rubans et fanfreluches. Or, quiconque a déjà eu un vrai enfant de 3 ans à la maison, sait qu’une fillette n’est pas toujours (voire jamais !) gracieuse ni délicate à longueur de journée. Elle peut aussi décider d’escalader le canapé en déclarant que c’est une montagne ou vous expliquer qu’elle est “conduteur de tain” et qu’elle va vous emmener chez Mamie. Ces jeux, auxquels on joue ou on ne joue pas selon son sexe, peuvent aussi avoir une influence sur la reproduction des inégalités. En effet, si aucun fer à repasser ni aspirateur n’est proposé en bleu, avec une photo de garçon qui nettoie, comment inverser la dramatique inégalité du partage des tâches ménagères en France ? Les femmes en font toujours 80 %. Idem au niveau salarial. À travail égal, un homme dans le secteur privé gagnera 28 % de salaire en plus qu’une femme. Pourquoi ? Parce que c’est un homme ! De la même façon, comment une petite fille qui n’aura pas eu droit à un déguisement de Spiderman pourra-t-elle avoir confiance plus tard en sa force ou en ses capacités ? Pourtant, l’armée est ouverte aux femmes depuis bien longtemps… Ces dames y font de jolies carrières, n’abandonnant pas plus leurs gars sur le terrain que ne le font leurs homologues masculins. Mais qui offre une mini-mitrailleuse à une petite fille, même si elle la réclame à cor et à cri ? Idem côté gars : alors que les émissions de cuisine avec les chefs cuistots se multiplient, un loulou peut se voir refuser une mini-cuisinière uniquement parce qu’elle est rose. À travers les jeux, on propose des scénarios de vie restreints : aux filles la séduction, la maternité et les tâches ménagères et aux garçons la force, la science, le sport et l’intelligence. Ce faisant, on empêche nos filles de développer leur ambition et on bride nos fils qui voudraient plus tard : “rester à la maison pour s’occuper de leurs 10 bébés”. L’année dernière, une vidéo a tourné sur Internet. On y voit une petite de 4 ans dans un magasin de jouets dénoncer à voix haute cette ségrégation, alors que pour elle, les choses sont plus nuancées : “” (“Certaines filles aiment les superhéros, d’autres les princesses ; certains garçons aiment les superhéros, d’autres les princesses.”) La vidéo de Riley Maida sur le marketing est à visionner sur You Tube, un régal.

Autoriser les enfants à jouer avec tout !

Entre 2 et 5 ans, le jeu prend une importance considérable dans la vie de l’enfant. Les jouets moteurs l’aident à se développer, à exercer la coordination de ses bras et de ses jambes. Or, les deux sexes ont besoin de se dépenser, de courir, d’escalader ! Deux ans, c’est surtout le début des “jeux d’imitation”. Ils donnent l’occasion au tout-petit de s’affirmer, de se situer, de comprendre le monde des adultes. En jouant à “faire semblant”, il apprend les gestes et les attitudes de ses parents et entre dans un monde imaginaire très riche. Le poupon, notamment, a un rôle symbolique : filles et garçons y sont très attachés. Ils prennent soin d’un plus petit qu’eux, reproduisent ce que font leurs parents : donnent le bain, changent la couche ou grondent leur bébé. Les conflits, les frustrations et les difficultés que vit un bout’chou sont extériorisés grâce à la poupée. Tous les petits garçons devraient pouvoir y jouer. Le risque, si on accentue les stéréotypes sexuels, à travers l’environnement et les jeux, c’est de donner aux garçons (et aux futurs hommes !) une orientation machiste. À l’inverse, on enverrait aux petites filles un message sur leur (supposée) infériorité. À la crèche Bourdarias, à Saint-Ouen (93), l’équipe a travaillé pendant plusieurs années sur un projet pédagogique autour des genres. L’idée ? Non pas de gommer les différences entre les sexes, mais de faire en sorte que filles et garçons soient égaux. Et cela passe beaucoup par le jeu. Ainsi, dans cette crèche, les fillettes ont été régulièrement invitées à faire du bricolage. Sous la surveillance d’un adulte, elles enfoncent des clous dans des bûches de bois, en tapant très fort avec un marteau. On leur a aussi appris à s’imposer, à dire “non”, quand elles étaient en conflit avec un autre enfant. De la même façon, les garçons ont été fréquemment incités à prendre soin des poupées et à exprimer leurs émotions et leurs sentiments. Depuis, les politiques s’en sont emparés. L’année dernière, l’inspection générale des affaires sociales a remis un rapport à la ministre Najat Vallaud-Belkacem sur “L’égalité entre les filles et les garçons dans les modes d’accueil de la petite enfance”. En plus de sensibiliser les professionnels de la petite enfance aux questions des stéréotypes, dès la rentrée 2013, un livret et un DVD sur les inégalités devraient être remis aux parents et aux pères en particulier.

L'identité sexuelle n'est pas influencée par les jeux

Laisser filles et garçons jouer avec les deux sortes de jeux, sans se préoccuper des couleurs (ou en recherchant des couleurs “neutres” : orange, vert, jaune) est important pour leur construction. À travers les jouets, plutôt que reproduire un monde d’inégalités, les enfants découvrent qu’ils peuvent ouvrir largement les frontières des genres : tout devient possible. Rien n’est réservé à l’un ou à l’autre et chacun développe ses capacités, s’enrichissant des qualités d’un sexe ou de l’autre. Pour cela, bien sûr, il ne faut pas avoir peur soi-même : un loustic qui joue à la poupée ne deviendra pas homosexuel. Faut-il le rappeler ? L’identité sexuelle n’est pas influencée par les jeux, elle est dans la “nature” de la personne, et ce, souvent dès sa naissance. Cherchez bien dans votre mémoire : n’avez-vous pas eu vous aussi envie d’un jouet qui n’était pas réservé à votre genre ? Comment avaient réagi vos parents ? Comment vous êtes-vous senti(e) ensuite ? Écrivez-nous à la rédac, vos avis sur la question nous intéressent !

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