Je déteste être enceinte

Publié par Marie Lanen  |  Mis à jour le Avec notre experte psychologue, Joëlle Desjardins-Simon.

On peut avoir désiré son bébé, mais détester être enceinte. Aucune honte à avoir, on a le droit de le dire !

Etre enceinte et détester ça, c'est possible ?

Contrairement à ce que l’on peut entendre, la grossesse suscite des sentiments contradictoires. C’est une épreuve, une sorte de crise d’identité. Tout d’un coup, la future maman doit oublier son corps d’adolescente et l’épreuve de la transformation est parfois difficile à vivre. Les femmes doivent accepter qu’elles ne contrôlent plus rien. Certaines sont terrifiées de voir leur corps se transformer ainsi.
Les femmes enceintes perdent également une certaine liberté. Au 3e trimestre, elles ont des difficultés à se mouvoir. Elles peuvent se sentir mal à l’aise dans leur corps. Le pire, c’est qu’elles n’osent pas en parler, elles ont honte.

Pourquoi ce sujet est-il si tabou ?

Nous vivons dans une société où le culte du corps, de la minceur et du contrôle est omniprésent. La médiatisation de la maternité ne montre que des aspects positifs de la grossesse. Celle-ci doit être vécue comme un paradis. On fait peser des contraintes et des restrictions énormes aux femmes enceintes : il ne faut pas boire, ni fumer, ni manger ce que l’on veut. On demande aux femmes d’être déjà des mères parfaites. Ce « modèle sur papier » est très loin de la réalité. La grossesse est une expérience inquiétante et étrange.

Est-ce seulement la difficulté à gérer les symptômes de grossesse qui peuvent être la conséquence de cet état, ou cela peut-il être psychologique ?

Toutes les fragilités psychiques que les femmes ont en elles, c'est-à-dire le bébé qu’elles ont été, le modèle de leur propre mère… on se prend tout ceci dans la figure. J’appelle ça un « raz de marée psychique », tout ce qui était enfui dans l’inconscient se réactive pendant la grossesse. C’est ce qui amène parfois le fameux baby blues. Après l’accouchement, on propose aux femmes des soins esthétiques, mais pas de rendez-vous chez le psychologue. Il n’y a pas assez de lieux pour parler de tous ces bouleversements.

Quelles peuvent être les conséquences de tels sentiments envers sa grossesse ?

Il n’y a pas vraiment de conséquences. Ces sentiments sont partagés par toutes les femmes, seulement, pour certaines, c’est d’une violence extrême. Il faut bien faire la différence entre ne pas aimer être enceinte, et l’amour qu’une femme peut porter à son enfant. Il n’y a pas de lien entre la grossesse et le fait d’être une bonne mère. Une femme peut très bien avoir des pensées horribles pendant sa grossesse et devenir une maman aimante.

Comment peut-on aimer avoir des enfants, mais ne pas aimer être enceinte ?

C’est une question qui touche à l’image du corps. Or la grossesse est une expérience qui nous fait échapper à toute maîtrise du corps. Dans notre société, cette maîtrise est valorisée, vécue comme un triomphe. C’est pourquoi les femmes enceintes vivent une épreuve de perte.
Il y a également un mouvement égalitaire entre homme et femme de plus en plus marqué. Certaines aimeraient bien que ce soit leur conjoint qui porte le bébé. D’ailleurs, certains hommes sont désolés de ne pas pouvoir le faire.

Quelles sont les peurs et les interrogations les plus récurrentes chez ces femmes ?

"J'ai peur d'être enceinte" "J'ai peur d'avoir un bébé dans mon ventre, comme un alien" "J'ai peur d'avoir le corps déformé par la grossesse". Elles ont, la plupart du temps, peur d’être envahies de l’intérieur et ne rien pouvoir faire. La grossesse est vécue comme une invasion interne. De plus, ces femmes angoissent car elles sont soumises à des contraintes énormes au nom de la perfection de la maternité.

Sujets associés