Qu'est-ce que le deuil périnatal et comment surmonter ce drame ?

Publié par Candice Satara-Bartko  |  Mis à jour le par Marion BellalAvec Marie-José Soubieux, pédopsychiatre et psychanalyste, autrice de “Le berceau vide”, éd. Erès.

Chaque année, des milliers de familles perdent un bébé au cours d’une grossesse ou à la naissance. Pourtant, la mort périnatale reste encore un sujet tabou. Comment parler aux parents confrontés à un tel drame ? Vers qui se tourner ? Quel est le rôle des équipes médicales dans ces situations délicates ? Enquête.

Avec Marie-José Soubieux, pédopsychiatre

C'est la douleur extrême. Celle que l'on ne peut imaginer, tant elle nous paraît insondable. Il n'y a d'ailleurs pas de mot pour nommer les parents endeuillés par la perte de leur enfant. On est orphelin quand on a perdu ses parents, mais aucun terme ne nomme celui ou celle qui a perdu son enfant.

Certains parents ressentent le besoin de trouver une appellation qui qualifierait mieux leur situation après ce drame. Les termes parange, mamange et papange, néologismes formés avec les mots parent, maman, papa, et ange, peuvent alors être utilisés par les personnes qui viennent de perdre leur bébé. Ces mots sont aussi très utilisés sur les réseaux sociaux, où les personnes concernées par cette tragédie peuvent, grâce à ces mots-clés, se retrouver et partager leurs façons de surmonter leur perte.

Mortalité périnatale et mortinatalité : les chiffres

Définition : qu'est-ce que le deuil périnatal ?

Le deuil périnatal fait suite à la perte d'un enfant de la 22è semaine d'aménorrhée (SA) au 7è jour de vie après la naissance. Cela concerne en France 7 000 familles par an. La mortalité périnatale regroupe la mortinatalité et la mortalité néonatale précoce

Selon la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques, en 2019, le taux de mortalité périnatale (nombre d’enfants nés sans vie ou décédés au cours des 7 premiers jours de vie rapporté à l’ensemble des naissances à partir de 22 semaines d’aménorrhée) s’élève à 10,2 ‰, d’après les données hospitalières. 

Parmi l'ensemble des décès liés à la mortalité périnatale, on distingue la mortinatalité (enfants nés sans vie par mort fœtale spontanée ou interruption médicale de grossesse) et la mortalité néonatale précoce (enfants nés vivants mais décédés dans leur première semaine). En 2019, le taux de mortinatalité était de de 8,5 pour 1 000 naissances, en légère baisse après quatre années très stables, proches de 9 ‰. Quant au taux de mortalité néonatale précoce, il s'élevait en 2019 à 1,7 pour 1 000 naissances vivantes. 

Ces données, qui ne se réduisent pas assez vite, font de la France un des pays qui souffre le plus de mortalité périnatale à l'échelle de l'Union européenne.

Deuil périnatal : le long chemin des parents endeuillés

L’annonce de la mort d’un enfant ou de la maladie grave qui conduira à cette issue fatale est, bien sûr, toujours un choc pour les parents. En quelques instants, la vie bascule, le temps s’arrête définitivement. Plus rien ne sera comme avant. Qu’il s’agisse d’une mort fœtale in utero ou d’une interruption médicale de grossesse (IMG), on n’est jamais préparé à vivre un tel drame. À la douleur, la sidération, se mêle l’incompréhension, puis la solitude.

Souvent, l'entourage n'a pas les mots, les familles ne se sentent pas reconnues dans leur douleur et déplorent le manque d’accompagnement. En effet, « la mort avant terme reste un sujet tabou », confirme Dr Marie-José Soubieux, pédopsychiatre et psychanalyste, spécialisée dans le deuil périnatal. « On considère que c’est un non-événement, que ça ne vaut pas la peine d’en parler. La vérité, c’est que la mort d’un enfant fait très peur, car elle fait partie des choses impensables. Les gens n’ont pas envie de s’identifier, ils préfèrent se dire que ça n’existe pas. »

Reconnaître la douleur des parents : comment faire et quoi dire pour aider une mamange ou un papange ?

Pour l'entourage, il est important de garder à l'esprit que la place occupée par un bébé pas encore né n’est pas la même pour toutes et tous. Pour certaines personnes, à 4 mois de grossesse, le fœtus est déjà perçu comme un vrai bébé, avec qui une relation fantasmée s’est engagée. D’autres n’ont pas encore investi cet enfant, elles le considèrent comme une chose abstraite dont elles ne veulent pas parler et qu’elles éviteront d’ailleurs de nommer. Néanmoins, dans toutes les situations, le surgissement de la mort à l’endroit même de la vie entraîne un effondrement, une douleur indicible.

Après le choc de l’annonce et le déni qui s’ensuit, vient le temps de la colère, le besoin de trouver un responsable à ce qui arrive. Culpabilité, sentiment d’échec, impression de toucher le fond, de replonger : il est normal de passer par toutes ses phases. Et il n’y a pas une seule façon de réagir, chacun et chacune fait face à cette épreuve suivant son histoire, son vécu. Dans ce moment particulier, en général, « ce dont les couples ont besoin avant tout, c’est d’être reconnus dans ce qu’ils vivent, dans leur douleur, insiste Marie-José Soubieux. Parler de leur histoire soulage et aide à réinvestir la vie ».

Journée de sensibilisation au deuil périnatal, le 15 octobre : se rapprocher des psychologues, associations, groupes de parole ou forums

Le 15 octobre est la journée consacrée dans le monde à la sensibilisation au deuil périnatal. Ce peut être le bon moment pour les parents ou leur entourage de trouver une association, par exemple, qui communiquerait à cette occasion, et pourrait accompagner et aider à surmonter ce traumatisme. C’est en effet auprès des associations dédiées au deuil périnatal que beaucoup de parents se tournent lorsqu’ils perdent un enfant. Ces structures se sont multipliées depuis une dizaine d’années. Elles proposent du soutien et de l’écoute, avec souvent un forum, généralement très actif.

La plupart d’entre elles orientent les parents vers des groupes de parole, des lieux précieux où chacun peut exprimer sa souffrance librement et échanger avec d’autres parents, à l'instar d'Agapa, qui organise des cafés-rencontres, potentiellement en visio. 

Les associations veulent également faire avancer la prise de conscience. C’est sous leur impulsion qu’a été décrété que le 15 octobre serait la Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal. L’une d'elles, l'association Petite Emilie a édité un livret d’information sur l’IMG et le deuil périnatal. Ce support, déjà utilisé dans de nombreuses maternités et centres de diagnostic prénatal, devrait aussi être mis à disposition dans les centres d’échographie, car c‘est souvent là qu’on apprend la terrible nouvelle. Quant à l'association Dans nos cœurs, elle propose gratuitement en ligne un guide très complet, pour toute personne concernée ou souhaitant se renseigner à ce sujet. Chiffres, démarches administratives, propositions de sujets de réflexions personnelles, en couple ou avec l'entourage, témoignages, listes de livres et de podcasts... Tout y est détaillé pour enfin trouver les informations dont on a besoin.

Afin de pallier le manque de reconnaissance de ces couples endeuillés par la perte d’un enfant, la loi permet depuis le 6 février 2008 de déclarer un fœtus mort à l’État civil, quel que soit son poids et la durée de la grossesse. Si cette évolution a provoqué un désordre sans précédent dans les statistiques de la mortalité périnatale, elle a surtout permis à des parents de garder une trace de leur enfant mort. Ce qui n’est pas rien, observe Dr Soubieux : « On reconnaît l’existence de leur enfant, c’est pour eux la preuve que personne n’oubliera jamais ce qui leur est arrivé. »

Formation : le soutien de l’équipe médicale pour accompagner après la perte d'un bébé

Du côté des professionnels, il reste bien sûr encore des progrès à faire. Aider les parents à surmonter cet événement traumatisant ne va pas de soi. Des diplômes et des formations spécifiques sur le deuil périnatal ont vu le jour, pour permettre aux équipes d’être à l’écoute des parents dans ce moment particulier. Mais, dans les faits, l’accompagnement varie beaucoup d’un service à l’autre. Évidemment, « ce qu’on aimerait c’est qu’une personne formée, psychologue ou sage-femme, puisse soutenir les parents de l’annonce de l’IMG jusqu’à la sortie de la maternité et pourquoi pas après », souligne Guillaume Jeunot, membre de l’association Petite Emilie. Mais, dans ces structures, souvent en sous-effectifs, ce n’est pas le cas.

La formation des équipes est donc essentielle même s’il ne faut pas tomber dans un autre travers qui consisterait à imposer des "conduites à tenir" toutes faites, car celles-ci pourraient aussi avoir des conséquences néfastes sur les parents. C’est bien la difficulté de ce deuil particulier qu’est le deuil périnatal. « Pas d’attitude idéale à recommander, estime Marie-José Soubieux, si ce n’est tenir compte de la singularité de chaque situation et respecter le rythme de chaque parent. »

En vidéo : Vidéo | Deuil périnatal : le besoin de sensibilisation, Sans Filtre avec Sophie de Chivré

Témoignages : ces parents ont vécu la mort de leur enfant

Le témoignage de Justine Lavogez, maman de Viktor, Florent, Ange et Céleste

« Nous sommes les heureux parents de Viktor, 4 ans et demi, et de Florent, presque 3 ans. La vie nous a toujours (ou presque) souri, du moins jusqu’à l’arrivée de Florent. J’ai toujours su que j’étais une maman née. Et lorsque Viktor est né en mai 2011,  j’étais la plus heureuse des femmes. Et une évidence s’est imposée : un second bébé viendrait agrandir la famille rapidement. La nature faisant, je suis tombée enceinte très rapidement, et ce, à quelques mois de mon mariage. Une nouvelle très heureuse pour moi.

Tout s’est bien passé jusqu’à la naissance. Florent, notre deuxième garçon, est arrivé avec un mois d’avance. Et même s’il avait un poids correct pour le terme, quelque chose clochait. Ses yeux se révulsaient, il avait des mouvements très brusques et à d’autres moments, il était comme sans vie. Il tétait mal, ne pleurait pas. Il a fallu 5 mois pour qu’on trouve le diagnostic. Florent est atteint d’hyperglycinémie sans cétose, une maladie génétique grave, orpheline, qui provoque un handicap très lourd et pour laquelle il y a très peu de recherche et aucun traitement curatif. Il existe moins de 1 000 malades dans le monde. Nous avons créé une association Les Amis de Florent, depuis juin 2015, pour soutenir la recherche et collecter des fonds pour aider les enfants malades.

Un jour, nous avons décidé de faire un autre enfant, celui qui rééquilibrerait notre famille, le petit frère ou la petite sœur avec qui, un jour, Viktor pourrait jouer. Mais à chaque grossesse, nous avons un risque sur quatre de faire un bébé atteint de la même pathologie. Et ce bébé, ce troisième petit mec, était malade lui aussi. Nous avons choisi de ne pas lui faire endurer la maladie. J’ai accouché à 4 mois et demi, d’un tout petit bébé de 16 cm, formé. Ange restera à jamais dans notre cœur. Trois mois après cet accouchement éprouvant, j’apprends qu’un petit être s’est à nouveau installé. Mais quelques semaines plus tard, un coup de fil de la généticienne nous abat comme jamais. Cette petite fille que je porte est malade, elle aussi, elle encore… L’horreur de recommencer une interruption de grossesse difficile. La difficulté de pouvoir reprendre le dessus. Céleste est née début octobre, de la même façon que son frère.

J’ai vécu le pire. Avoir pu déclarer mes bébés nés sans vie m’a un peu apaisée, même si leur nom n’est pas inscrit sur le livret de famille. Nous avons pu les voir, leur dire adieu, c’était important pour nous. Nous culpabilisons toujours un peu d’avoir dû leur ôter la vie. Je garde en tête que je n’ai pas le droit de baisser les bras, pour Viktor et pour Florent. »

Le témoignage d'Isabelle, maman de Yaël, Ella et Thaïs

« La petite fille que j’attendais était porteuse d’une trisomie 21. Nous ne l’avons su que tardivement parce que la clarté nucale, ainsi que le tri-test, étaient normaux. Un retard de croissance et une malformation ont été découverts à l’échographie du deuxième trimestre. Puis le verdict est tombé avec l’amniocentèse. Nous avons décidé de garder ce bébé. Et puis, une nuit, au septième mois, je l’ai trouvée vraiment calme. Nous sommes allés aux urgences et quand la sage-femme a fait l’échographie, j’ai vu les larmes dans ses yeux et elle nous a dit que le cœur de notre bébé ne battait plus. J’ai chuchoté : “Elle est morte ?” Elle a répondu par l’affirmative. On s’est effondrés.

Nous lui avons donné un prénom, Ella. Nous l’avons inscrite dans le livret de famille et nous avons choisi la crémation individuelle. Nous nous sommes sentis très seuls dans notre douleur. Peu de personnes se sont déplacées pour la cérémonie, nous avons reçu très peu d’appels. Nous avons eu droit à ces phrases maladroites : “C’est mieux comme ça”, “C’est mieux maintenant que plus tard”, “C’est mieux que tu ne l’aies pas connue”. J’aurais eu besoin qu’on me parle d’Ella, qu’on me pose des questions sur elle. C’est ce que demandent les parents de bébés qui décèdent in utero ou tout petits : avoir le droit de pleurer leurs enfants, de parler d’eux, bref, que le deuil périnatal soit reconnu. Nous avons compris plus tard que les gens n’étaient pas indifférents mais ne savaient simplement pas quoi faire. Il m’a fallu mettre les choses au point pour évacuer la rancune et la colère, pour faire la paix. Il n’est jamais trop tard. »

Le témoignage de Stéphanie, maman de Valentin, Alexandre et Julia

« Je suis moi-même l’enfant “d’après”. Ma mère a perdu un bébé à la fin de sa grossesse, juste avant ma naissance. J’ai grandi avec cette histoire. Donc, lorsque j’ai à mon tour été enceinte, après un parcours en PMA, j’étais un peu angoissée par le début, période connue pour être à risque, et par la fin. Mais le deuxième trimestre ne me faisait pas peur ! J’ai perdu mon bébé à cinq mois et demi, sur mon lieu de vacances. J’ai accouché en urgence, sous anesthésie générale. Les examens ont montré qu’il avait contracté une infection à cause d’un déséquilibre de ma flore. J’ai repris le travail, les traitements PMA, et trois mois plus tard, j’étais de nouveau enceinte.

Lorsque le bébé a commencé à bouger, j’ai cessé de dormir. J’avais peur qu’il meure pendant mon sommeil. Les examens étaient bons, pas d’infection. Mais à la deuxième écho, on a constaté que le col était beaucoup trop court. Panique à bord. J’ai été hospitalisée, cerclée, alitée. Rien à faire, à 26 semaines, le travail a commencé. À la naissance, Alexandre a pleuré, je ne m’y attendais pas. C’est un bon souvenir. On m’a dit “Bravo, 1 kg à 26 semaines, c’est un beau bébé !”. Au bout de quatre jours, une infection s’est déclarée, puis une semaine plus tard, il a fait une hémorragie cérébrale. J’ai été comme soulagée quand on m’a annoncé que c’était fini. Nous avions vécu dix jours d’amour intense avec cet enfant, mais il fallait que ça s’arrête.

J’ai pris mon congé de maternité, j’ai fait de la marche avec des gens qui ne connaissaient pas mon histoire. Lorsque j’ai été prête, j’ai repris le travail. Et les traitements. C’est devenu un combat. Je voulais un bébé. Vivant. Quand une nouvelle grossesse a débuté, j’ai fait une cure d’antibiotiques, le col a été cerclé. J’ai été alitée. On m’a annoncé que c’était une petite fille, j’ai mis une semaine pour m’y habituer. Et puis je me suis dit que ça remettait les compteurs à zéro. Julia est née avec un mois d’avance. Mais elle allait bien. Je me dis que si ses deux frères avaient vécu, elle ne serait pas là. Tout comme je ne serais moi-même peut-être pas là si mon frère aîné n’était pas mort. C’est l’enfant d’après qui nous porte. »

Le témoignage d'Irène, maman de Sean, Will et Olivier

« Dès le lendemain, j’ai appelé l’association Naître et Vivre. J’avais besoin d’entendre quelqu’un qui avait survécu à ça. Une bénévole est venue à la maison. Il était essentiel pour moi d’être physiquement face à une personne qui avait traversé le même drame et qui pouvait m’assurer que, oui, la vie pouvait continuer. C’est arrivé le 20 mai dernier, Olivier avait 110 jours, c’était un bébé en pleine santé, qui tenait déjà bien sa tête. Il se trouvait chez son assistante maternelle. Nous sommes arrivés en même temps que les pompiers. Ils ont tenté de le réanimer pendant 40 minutes. La nounou était en état de choc et on avait dû mal à comprendre ce qui avait pu se produire. Elle l’avait trouvé dans son lit, sur le ventre, pendant sa sieste, alors qu’il était toujours couché sur le dos, nous connaissions les règles de prévention.

J’ai bien conscience que nous ne saurons peut-être jamais pourquoi il n’a pas eu le réflexe de dégager sa tête. La mort d’Olivier n’est pas un tabou chez nous. Lorsque c’est arrivé, nos aînés, des jumeaux de 12 ans, sont venus nous rejoindre à l’hôpital. Ils ont souhaité voir leur petit frère, qui leur a été amené habillé, bien emmitouflé. Je n’ai pas caché ma douleur. L’un a tout de suite beaucoup pleuré, l’autre était plus distancié, dès le lendemain, il plaisantait. Il m’a dit : “Je ne ressens rien, ça veut dire que je ne l’aimais pas”. J’ai dû lui expliquer que le deuil était propre à chacun. Lorsque l’un d’entre eux me demande : “Ça va maman ?”, je ne mens pas. Je réponds : “Écoute, aujourd’hui, il me manque”. »

Si vous souhaitez échanger avec d'autres mamans ou papas qui ont traversé un deuil périnatal, vous pouvez vous rendre sur notre forum.

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