Décès in utero: la France incapable de donner des chiffres précis

Publié par Gaëlle Guernalec-Levy  |  Mis à jour le

Mortinatalité : la France n’a pas de chiffres fiables

Après la mort d’un bébé in utero faute d’une prise en charge de sa mère à la maternité de Port-Royal, il est étonnant de découvrir que la France est le seul pays européen à ne pas avoir de données statistiques précises sur ces décès. 

Le drame de ce couple parisien qui a perdu son bébé fin janvier 2013 après avoir été refoulé deux fois de la maternité de Port-Royal pose évidemment la question des effectifs dans les hôpitaux français et de l'encombrement des maternités de type 3. Mais il en soulève une autre. On sait que la France est passée du septième au vingtième rang européen au classement des plus faibles taux de mortalité infantile. Qu’en est-il plus précisément de la mortinalalité (naissance d’enfant sans vie) ? Sommes nous là aussi mal positionnés par rapport aux autres pays européens? Aussi incroyable que cela puisse paraître, il est impossible de répondre à cette question. La France est le seul pays européen, avec Chypre, à se trouver dans l’incapacité de donner des chiffres précis et actualisés quant à la mortalité in utero. 

En 2004 : un taux de mortinatalité élevé

En 2004, nous avions le taux de mortinatalité le plus élevé d’Europe : 9,1 pour 1000. Selon l’Inserm, à l’époque, ce chiffre pouvait s’expliquer par une politique active de dépistage des anomalies congénitales et par la pratique d’interruptions médicales assez tardives. Comme le précise le rapport de la Cour des Comptes de février 2012, ce taux élevé justifiait que son évolution au cours des années soit suivie de près et que des investigations soient menées pour en comprendre l’origine. Pouvoir distinguer les décès fœtaux spontanés (comme dans l’affaire de Port Royal) des IMG est un préalable évident pour comprendre l’écart avec les autres pays d’Europe, pour pouvoir cerner l’origine de ces décès et mieux les prévenir. Non seulement cette distinction n’a pas été effectuée depuis 2004 mais les chiffres n’existent même plus. « La France n’est plus en mesure de produire d’indicateur fiable pour ce qui concerne les enfants nés sans vie », écrit la Cour des comptes dans son rapport. Les derniers chiffres donnés par l'Inserm datent de 2010 et le taux de mortinatalité serait de 10 pour 1000 naissances, un des taux les plus élevés de l’Union Européenne. Mais l'Inserm précise immédiatement:"Cependant, la mortinatalité et son évolution ne peuvent pas être estimées avec précision, car la taille de l’échantillon utilisé dans cette enquête n’est pas adaptée pour les évènements ayant cette fréquence."

Le décret de 2008 a tué le recueil épidémiologique

Pourquoi cette disparition de chiffres précis alors que justement, des données épidémiologiques plus fines étaient attendues depuis 2004? Parce qu’en 2008 un décret a modifié les modalités d’inscription à l’état civil des enfants nés sans vie. Avant 2008, selon les recommandations de l’OMS tous les enfants mort-nés après 22 semaines de gestation ou pesant plus de 500 grammes devaient être enregistrés sur les registres déposés en mairie. Mais en 2008, lorsque trois familles portent plainte pour pouvoir inscrire leur enfant mort avant ce délai, la Cour de Cassation leur donne raison. Et un décret vient tout changer : les parents peuvent inscrire leur enfant à l’état civil quelque soit son âge gestationnel (et sans que cet âge gestationnel soit précisé) ou ne pas l’inscrire du tout. Ce qui signe l’arrêt du recueil des chiffres de mortinatalité (qui ne concerne que les foetus de plus de 22 semaines) et explique cette précision désabusée des épidémiologistes dans un document de l’Inserm du 11  décembre 2008 : « Malheureusement, des modifications récentes de la réglementation et de l'interprétation de textes antérieurs relatifs à l'enregistrement des mort-nés en 2008 devraient limiter notre capacité d'analyse. Il ne sera plus possible de calculer de taux de mortinatalité selon une définition rigoureuse, et donc de comparer les données françaises aux autres données européennes disponibles". Comme il n’était pas envisageable que la France continue de se distinguer par cette absence de chiffres, un nouveau mode d’enregistrement est entré en vigueur début 2013.  Les hôpitaux et cliniques vont prendre en charge l’enregistrement des enfants mort-nés après 22 semaines de grossesse comme le faisait l’état civil avant 2008. Les épidémiologistes croisent désormais les doigts pour que les personnels de santé jouent le jeu. 

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