Laissons les enfants s’ennuyer !

Publié par Christine Diego  |  Mis à jour le par

Les enfants d’aujourd’hui sont-ils trop occupés ? A voir les emplois du temps surchargés de certains d’entre eux, on est porté à le croire. De récentes études pointent les vertus de l’ennui. Explications.

Les enfants ont-ils « besoin » de s’ennuyer ?

Très occupés, les enfants, et ce dès leur plus jeune âge, ont souvent des emplois du temps digne d’un ministre. Les parents pensent ainsi éveiller leur progéniture. Une sur-stimulation qui pourrait bien être contre-productive.

La chasse à l’ennui

Des écoles maternelles d’élite qui ont pour objectif de rendre leurs jeunes élèves performants… Ce type d’établissements existent en France. Telle l'Ecole active bilingue Jeannine-Manuel, EABJM, à Paris dans le XVe, qui permet par exemple aux enfants d’apprendre la lecture, l’écriture, mais aussi le sport, l’art, la musique, dès le plus jeune âge. Dans cette école les activités parascolaires (danse, cuisine, théâtre...) sont plus nombreuses que les jours de la semaine. C’est anecdotique, peut-être, mais c’est aussi symptomatique d’une époque et d’une société, qui semblent avoir une peur panique du vide. Ce que confirme Teresa Belton, experte américaine dans l’impact des émotions sur le comportement et l’apprentissage des enfants, qui vient de publier une étude sur le sujet (Université of East Anglia). « L'ennui est vécu comme un "sentiment de malaise" et la société a décidé qu’il fallait être constamment occupé et constamment stimulé » a-t-elle confiée à la BBC. Monique de Kermadec, psychologue française spécialiste de la précocité et de la réussite, le constate elle aussi : « les parents veulent absolument « trop » occuper leur enfant pour se sentir de « bons » parents. Ils multiplient les activités extra-scolaires pensant compenser ainsi leur absence, le soir, après la sortie d’école. Piano, anglais, activités culturelles, les petits ont souvent une deuxième vie qui débute à 16h30 ». Les enfants des années 2010 ont d’autant moins le temps de s’ennuyer qu’ils sont en permanence sollicités par les écrans qui les entourent. « Lorsque les enfants n'ont rien à faire, ils allument le téléviseur, l'ordinateur, le téléphone ou toute sorte d'écran, expose Teresa Belton. Le temps passé sur ces supports a augmenté ». Or, poursuit-elle, « au nom de la créativité, peut-être aurions-nous besoin de ralentir et de rester déconnectés de temps en temps. »

L’ennui, un état créatif

Car en privant les enfants de la possibilité de s’ennuyer, en occupant les moindres interstices de temps libre, on les prive en même temps d’une étape importante du développement de leur imaginaire. Ne rien faire, c’est laisser l’esprit vagabonder. Pour Monique De Kermadec, « l’enfant doit s’ennuyer afin qu’il puise en lui ses propres ressources personnelles. S’il formule son sentiment « d’ennui » au parent c’est une façon pour lui de lui rappeler qu’il souhaite passer du temps avec lui ». L’ennui permettrait même aux enfants de libérer le petit génie qui sommeille en eux. Teresa Belton livre les témoignages des écrivains Meera Syal et Grayson Perry sur la façon dont l'ennui leur a permis de se découvrir un talent particulier. Meera Syal a ainsi passé des heures à regarder par la fenêtre quand elle était petite, à observer les changements de saisons. Elle explique que l'ennui a déclenché son désir d’écrire. Elle a tenu un journal dès son plus jeune âge, avec des observations, des histoires, et des poèmes. Elle attribue à ces débuts son destin d’écrivain. Elle ajoute avoir « commencé à écrire parce qu'il n'y a rien à prouver, rien à perdre, rien à faire. »
Difficile d’expliquer à une jeune enfant qui se plaint de s’ennuyer que c’est peut-être ainsi qu’il deviendra un grand artiste. Pour prévenir ces moments de désœuvrement qui peuvent aussi l’angoisser,  Monique de Kermadec propose une parade: « imaginer une « boîte à idées » dans laquelle on insère de petits papiers sur lesquels on écrit différentes activités à l’avance. Un papier « bulles de savon », « cuisiner un dessert », « découpage », « chanson », « lire », on glisse ainsi mille idées pour les jours où on « s’ennuie » à la maison ».

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