Interview du psychosociologue Jean Epstein : L’enfant est aujourd’hui idéalisé

Publié par Marion Thuillier  |  Mis à jour le

Vous combattez l’idée qu’il existerait une méthode d’éducation idéale. Comment votre livre échappe-t-il à ce travers ?

J’ai veillé à ce que mon livre soit optimiste, concret et ouvert. Dans tous les milieux sociaux, les parents d’aujourd’hui se sentent dépassés car ils n’ont plus le savoir-faire basique qui se transmettait auparavant sans s’en apercevoir, de génération en génération. Certaines femmes sont par exemple incollables sur la composition du lait maternel, mais n’ont aucune idée sur comment donner le sein à leur bébé. Cette appréhension fait ainsi le lit des spécialistes aux discours péremptoires et culpabilisants, mais aussi contradictoires. De mon côté, je suis intimement persuadé que les parents ont des compétences. Je me contente donc de leur donner des outils pour qu’ils trouvent leur propre méthode d’éducation, adaptée à leur enfant en particulier.

Pourquoi les jeunes parents d’aujourd’hui ont-ils de plus en plus de mal à trouver quelle place donner à leur enfant ?

Jadis l’enfant n’avait pas le droit à la parole. Une formidable évolution a permis qu’on reconnaisse enfin les vraies compétences des bébés. Cependant, cette reconnaissance est devenue tellement importante que l’enfant est aujourd’hui idéalisé et surinvesti par ses parents. A travers leurs témoignages, je rencontre ainsi de nombreux bébés « chefs de famille » auxquels les parents n’osent rien interdire, car ils se demandent sans cesse « M’aimera-t-il encore si je lui dis non ? » L’enfant ne doit tenir qu’un seul rôle, celui d’être l’enfant de ses parents, et non celui de conjoint, de thérapeute, de parent de ses propres parents ou encore de punching-ball lorsque ces derniers ne sont pas d’accord entre eux.

La frustration serait la clé de voûte d’une bonne éducation ?

L’enfant n’accepte spontanément aucune frustration. Il naît avec le principe de plaisir. Son contraire est le principe de réalité, qui permet de vivre au milieu des autres. Pour cela, l’enfant doit réaliser qu’il n’est pas le centre du monde, qu’il n’obtient pas tout, tout de suite, qu’il doit partager. D’où l’intérêt d’être confronté à d’autres enfants. Par ailleurs, être capable d’attendre, c’est aussi s’investir dans un projet. Tous les enfants éprouvent le besoin d’avoir des limites et ils font même des bêtises délibérément pour vérifier jusqu’où ils peuvent aller. Il leur faut donc des adultes qui savent dire non et se montrent cohérents dans ce qu’ils interdisent.

Comment sanctionner un enfant de façon juste ?

Le choix des sanctions est important. Une fessée est toujours un échec quelque part. Une sanction doit donc être immédiate et véhiculée par la personne présente lors de la bêtise, c’est-à-dire qu’une maman ne doit pas attendre le retour du papa pour punir son enfant. Elle doit par ailleurs être expliquée à l’enfant, mais pas négociée avec lui. Enfin, être juste, en veillant à ne pas se tromper de coupable, et surtout proportionnée. Menacer son enfant de l’abandonner à la prochaine station-service est tout simplement terrorisant car pris au premier degré. Et quand la pression grimpe crescendo, alors on peut essayer de le confier à d’autres adultes pour lui faire accepter les sanctions qu’il refuse de la part de ses parents.

La parole permet d’éviter les cris, les colères, la violence…

Certains enfants sont très physiques : ils piquent tout ce que les autres ont dans les mains, hurlent, pleurent, se roulent par terre… C’est leur langage, et les adultes doivent d’abord veiller à ne pas utiliser le même langage qu’eux en leur criant dessus. Une fois la crise terminée, revenez sur ce qu’il s’est passé avec votre enfant et écoutez ce qu’il a à dire, afin de lui apprendre qu’en mettant des mots, on peut discuter avec l’autre. Parler libère, soulage, apaise, et c’est le meilleur moyen de canaliser son agressivité. Il faut en venir aux mots pour ne pas en venir aux mains.

Mais peut-on tout dire à son enfant ?

Il ne faut pas lui mentir, ni taire des choses essentielles sur son histoire personnelle. En revanche, on doit aussi veiller à ne pas survaloriser ses compétences et donc toujours se demander « jusqu’où » il est prêt à nous entendre. Pas la peine par exemple d’entrer dans les détails de la maladie de sa tante alors qu’il veut juste savoir pourquoi elle reste couchée et si c’est grave. Le mieux est encore de lui faire sentir que vous restez ouverts à ses questions, car lorsqu’un enfant pose une question, cela signifie généralement qu’il est capable d’entendre la réponse.

Vous déplorez par ailleurs la tendance actuelle du risque zéro ?

On assiste aujourd’hui à une vraie dérive sécuritaire. Les morsures d’enfants à la crèche deviennent des affaires d’Etat. Les mères n’ont plus le droit d’apporter des gâteaux faits maison à l’école. Il faut bien évidemment assurer la sécurité d’un enfant, mais aussi le laisser prendre des risques calculés. C’est la seule manière pour qu’il apprenne à maîtriser le danger et ne se retrouve pas complètement paniqué, incapable de réagir, dès qu’un imprévu se produit.

Sujets associés