Hypersexualisation : quand les petites filles jouent les lolitas

Publié par Christine Diego  |  Mis à jour le

Chantal Jouanno faisait l’état des lieux de l’image des petites filles dans les médias dans un rapport intitulé : « Contre l’hypersexualisation , un nouveau combat pour l’égalité ». En 2012, elle demandait une loi. C'est chose faite puisque le Sénat a voté l'interdiction des concours de mini-miss. En France, les fillettes sont-elles vraiment menacées par l'hypersexualisation? Explications...

Hypersexualisation des fillettes américaines

Aux États-Unis et au Canada le phénomène existe depuis des décennies. Concours de beauté, émissions télévisuelles, les fillettes sont idolâtrées, mises en scène sur le petit écran,en petites tenues. Dernièrement, Jenny Erikson, en Californie, a déclaré sur le blog« The Stir » qu’elle accepterait que sa fille de 9 ans porte la nouvelle collection de la sulfureuse ligne de lingerie Victoria’s Secret. Elle a même dû s’expliquer devant les millions de téléspectateurs d’une émission de télévision très populaire, « Good Morning America » : « Je ne pense pas que c'est mal d'avoir des petites culottes et des soutiens-gorge mignons provenant d'une boutique pour adultes. Je ne tolèrerai pas que ma fille Hannah soit "la fille qui a des sous-vêtements laids" durant des séjours en camps pour jeunes ou aux soirées pyjama entre copines». Ahurissant. Symptomatique, diront les psys français.  
Autre exemple, récemment, une maman australienne Amy Cheney,a fait une drôle de découverte dans la chambre de sa petite fille de 7 ans.Celle-ci avait consigné sur une note de papier son programme... minceur ! Si jeune, elle s’impose de « faire 17 pompes par jour », manger « trois pommes, deux poires, deux kiwis »pour garder la ligne, « faire du jogging et descendre la route trois fois par semaine ». Sa mère, Amy Cheney accuse le culte de la minceur et les médias de « pervertir » sa fillette.

En France : prévenir plutôt que guérir...

Plusieurs ministres, sénatrices, et président d’ONG ont tiré la sonnette d’alarme depuis ces dix dernières années. Des décisions importantes ont déjà été prises pour protéger les enfants.
En décembre 2010, le magazine Vogue françaispubliait des photos mettant en scène une fillette dans des tenues et postures suggestives. A la suite de ce tollé médiatique, en février 2011, le médecin scolaire, le Docteur Elisabeth Pino publiait une pétition en ligne contre l’érotisation de l’image des enfants dans la publicité. En 2012, Roselyne Bachelot,ministre des solidarités et de la cohésion sociale, s'était vu remettre une charte sur la "Protection de l'enfant dans les médias", signée par des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et du Syndicat de la presse magazine (SPM). Les signataires du texte, élaboré par Jacques Hintzy, le président d'Unicef France, s'engageaient à ne « pas diffuser, y compris dans les espaces publicitaires, d'images hypersexualisées d'enfants, filles comme garçons, notamment dans une mise en scène érotisée ou portant des vêtements, accessoires ou maquillage à forte connotation érotique ».

Une loi française contre l'hypersexualisation

Un an plus tard, en mars 2012, la sénatrice Chantal Jouanno rendait son rapport intitulé « Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité ». Elle brosse un état des lieux de l’image des jeunes filles et son utilisation dans la presse et la publicité.
Mars 2013, cette fois-ci, la sénatrice va plus loin :elle dépose un projet de loi sur le sujet pour réglementer l’utilisation des images d’enfants pour une marque ou à la télévision.
Elle dénonce une société qui « se sert de la sexualisation précoce des jeunes filles pour « vendre » du rêve ou une marque commerciale ».
Fait récent, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille, ont décidé d’ encadrer les prochaines sessions des  concours régionaux "Graine de miss".Ouvertes aux fillettes de 6 à 13 ans, ces compétitions auront lieu en 2013, mais avec des directives précises. Deux députés français avaient soulevé la question lors de la sélection pour le concours bordelais en septembre 2012. Ils avaient demandé au gouvernement "d’interdire la promotion d’images sexualisées d’enfants ainsi que les concours d’apparence mettant en scène de jeunes mineurs".

... ou s’alarmer pour rien ?

Même si la France est moins exposée que les USA, il y a bien, d’après Catherine Monnot, anthropologue,  une hypersexualisation du corps notamment au travers des médias et de l’industrie des cosmétiques et du vêtement.

Hypersexualisation : l'avis des experts

Le sociologue Michel Fize, lui trouve au contraire excessif le projet de loi de Mme Jouanno.«On a raison de s’alarmer devant les projections de certains parents quand on parle des concours de mini miss, mais il ne faut pas tout mélanger». Auteur de «  Les nouvelles adolescentes » paru en 2010, il dresse le portrait des petites filles de 8-9 ans vivant leur « petite adolescence ». Son constat : « ces dernières ne se vivaient pas du tout comme de petites lolitas. Les symboles de leur féminité étaient assumés, recherchés et vécus avec beaucoup de fierté. Le passage de l’enfance à l’adolescence s’accompagne chez les fillettes d’attitudes pré pubères depuis la nuit des temps. Se maquiller devant le miroir, mettre les talons de maman, toutes les jeunes filles (ou garçons) l’ont fait, ou presque ». Il dénonce le terme utilisé par Chantal Jouanno de « femme objet ». « Ces jeunes filles ne se vivent pas du tout comme des objets. Il s’agit de fantasmes d’adultes. Si un adulte a du mal avec des images de jeunes filles maquillées très simplement, c’est l’adulte qui a un problème pas l’enfant».

Pour le sociologue la vraie question réside dans la frontière entre privé et public : «  les parents doivent être les garants de la limite entre sphère privée et sphère publique. Ils doivent éduquer leurs fillettes pour éviter tous dérapages publics. Quant à vouloir interdire l’utilisation des très jeunes filles dans publicité, ce serait un leurre ! Que l’on crée une nouvelle loi pour interdire certaines images ne résoudra pas le fait que les jeunes sont de toute façon exposés aux images féminines et sexuées à la télévision ou sur Internet".  

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