Etre le chouchou, un sujet tabou dans les familles ?

Publié par Christine Diego  |  Mis à jour le par Ysabelle Silly

Avoir un chouchou reste tabou dans la plupart des familles. Une récente étude américaine va plus loin. Elle constate que l’enfant préféré aurait autant de chances de développer un trouble dépressif que celui qui pense être moins investi par ses parents. Quelles conséquences pour les enfants de la fratrie d’être, ou pas, le préféré ? Les parents peuvent-ils gérer leurs préférences ? Décryptage avec un docteur en psychologie et psychothérapeute.

Avoir un enfant préféré, comment est-ce vécu dans une fratrie ?

Selon une étude américaine, en octobre 2015, les symptômes de dépression sont aussi élevés chez les enfants qui pensent être les plus proches de leur mère que chez ceux qui pensent avoir été le plus en conflit avec elle, ou l'avoir le plus déçue. L'étude précise également qu'il n'y a pas de différences entre les filles et les garçons. Catherine Sellenet, psychologue et auteure du livre “L'enfant préféré, chance ou fardeau ?”, explique dans au quotidien Le Monde, en 2014, que « la préférence parentale est un phénomène indicible, qui dérange, qui se vit honteusement. Elle est transgressive, incompatible avec le modèle idéal de la famille où tout est partagé en parts égales », explique-t-elle. Anne Bacus, psychothérapeute, pense, quant à elle, que les parents ne doivent pas forcément toujours rechercher l’égalité entre leurs enfants. Explications.

Enfant chouchou, sujet tabou

Etre l’enfant préféré est un sujet occulté dans les familles. « Les parents le confie rarement. C’est tabou et souvent inconscient En général, ils se reconnaissent dans un des enfants parce qu’ils voient en lui une part d’eux-mêmes. Ou alors, il y a un trait de personnalité qu’ils aiment particulièrement chez l’un », précise Anne Bacus. Pour les enfants, cette préférence ne serait pas du tout évidente à vivre. « Le statut de “préféré” est donné entre frères et sœurs. Ils se le disent entre eux le plus souvent, « toi, tu es le chouchou », sans dire tout haut ce que cela leur fait en réalité », détaille la psy. 

Quand chaque parent a son chouchou

Le plus souvent, il existe « une préférence naturelle et spontanée d’un parent vers tel enfant. Le père va “préférer” l’aîné et la mère le plus jeune, par exemple ! », ajoute Anne Bacus. Les choses se déroulent pas trop mal dans ce cas. L’enfant préféré est-il plus protégé que les autres par le parent qui le chouchoute ? « Pas forcément. Il va susciter des jalousies dans la fratrie, donc provoquer des rivalités entre les enfants. Souvent, un sentiment d’injustice peut se développer à son égard : pourquoi lui et pas moi ? », indique la psychologue. Elle précise d’ailleurs que dans une famille sans préférence affichée, tous les enfants pensent que ce sont les autres les chouchous.

Attention au favoritisme !

Anne Bacus met en garde les parents. « Attention aux comportements des parents : s’il existe des éléments objectifs qui prouvent qu’il y a du favoritisme, cela peut rendre malheureux les enfants », explique-t-elle. Un sentiment d’injustice peut naître et faire souffrir (en silence) l’enfant non préféré. Quand des frères ou sœurs ne s’entendent pas trop, qu’ils se chamaillent, ces rivalités peuvent être dues au favoritisme des adultes. « Les enfants vont passer leur temps à mesurer ce qu’ont les uns et les autres », indique la psychologue.

Ne pas chercher à être égalitaire

Pour éviter ce genre de rivalités, Anne Bacus conseille aux parents de dire à leurs enfants : « J’ai deux enfants uniques. Et je vous aime autant, chacun pour ce que vous êtes. Vous êtes uniques dans mon cœur ! », détaille-t-elle. Elle pense également qu’il ne faut pas chercher à être égalitaire à tout prix. « Il ne faut surtout pas entrer dans le jeu des enfants qui cherchent l’égalité absolue. Par exemple, quand l’un d’entre eux dit « lui il a eu ça, je veux pareil », le parent peut préciser que chaque enfant reçoit ce dont il a besoin ou qu'il affectionne particulièrement et comme ils sont différents, ce n'est pas la même chose pour chacun », explique la psychologue. Il est important que le parent prenne en compte la singularité et la personnalité de chaque enfant et ne cherche pas « absolument » à en faire autant ni surtout pareil pour chacun. « Chaque enfant doit être complimenté pour ce qu’il est, à des moments différents, tout simplement parce que les parents les aiment différemment ! », conclut la psychologue.  

Témoignage : je préfère mon fils aîné à sa soeur cadette

Pour moi, c’était une évidence d’avoir des enfants… Alors, quand j’ai rencontré Bastien, mon mari, à 26 ans, j’ai très vite eu envie de tomber enceinte. Après dix mois d’attente, j’étais enceinte de mon premier enfant. J’ai vécu ma grossesse sereinement : j’étais tellement heureuse de devenir maman ! Mon accouchement s’est déroulé sans problème. Et dès que j’ai posé les yeux sur mon fils David, j’ai ressenti une émotion intense, un formidable coup de foudre pour mon bébé qui était forcément le plus beau du monde… J’en avais les larmes aux yeux ! Ma mère répétait sans cesse qu’il était mon portrait craché, j’étais très fière. Je l’ai allaité et chaque tétée était un vrai bonheur. Nous sommes rentrés à la maison et la lune de miel entre mon fils et moi a continué. En plus, il a fait ses nuits rapidement. J’aimais mon petit garçon plus que tout au monde, ce qui faisait un peu râler mon mari, qui trouvait que je faisais moins attention à lui !

Mon mari a parlé d'agrandir la famille quand mon fils avait 3 ans 1/2

Quand David a eu 3 ans et demi, Bastien a parlé d’agrandir la famille. J’étais d’accord, mais en y réfléchissant après coup, je n’étais pas pressée d’en mettre un deuxième en route. Je craignais les réactions de mon fils, tant notre relation était harmonieuse. Et dans un petit coin de ma tête, je pensais que je n’aurais pas autant d’amour à donner au second. Au bout de six mois, je suis tombée enceinte et j’ai essayé de préparer David à la naissance de sa petite sœur : nous lui avons dit que c’était une fille dès que nous l’avons su nous-même. Il n’a pas été très content car il aurait voulu un petit frère « pour jouer avec », comme il disait !

J’ai donc accouché d’une petite Victoria, mignonne à croquer, mais je n’ai pas ressenti ce choc affectif que j’avais éprouvé à la vue de son frère. J’ai trouvé ça un peu surprenant, mais je ne me suis pas inquiétée. En fait, ce qui me prenait la tête, c’était la façon dont David allait accepter sa petite sœur, et je craignais aussi que la naissance de mon deuxième enfant change d’une manière ou d’une autre notre relation qui était fusionnelle. Quand David a aperçu Victoria pour la première fois, il a été tout intimidé, n’a pas voulu la toucher et s’est mis à jouer avec un de ses jouets sans plus faire attention ni à elle, ni d’ailleurs à moi ! Dans les mois qui ont suivi, notre vie a beaucoup changé.Victoria se réveillait souvent la nuit, à l’inverse de son frère qui avait fait très vite ses nuits. J’étais épuisée, même si mon mari me relayait bien. Dans la journée, je portais beaucoup ma petite fille, car elle se calmait plus vite ainsi. C’est vrai qu’elle pleurait souvent et par la force des choses, je la comparais avec David qui était un enfant paisible au même âge. Quand j’avais la petite dans les bras, mon fils venait se coller contre moi et me réclamait un câlin… Il voulait aussi que je le porte. J’avais beau lui expliquer qu’il était grand, que sa sœur n’était qu’un bébé, je savais qu’il était jaloux. Ce qui finalement est classique. Mais moi, je dramatisais les choses, je me sentais fautive de moins m’occuper de mon fils et j’essayais de “réparer” en lui offrant des petits cadeaux et en l’étouffant de baisers dès que ma fille dormait ! Je craignais qu’il m’aime moins !

"j’ai fini par m’avouer que je préférais peut-être David à Victoria"

Petit à petit, insidieusement, j’ai fini par m’avouer que je préférais peut-être David à Victoria. Quand j’ai osé me le dire à moi-même, j’ai eu honte. Mais en faisant mon examen de conscience, plein de petits faits me sont remontés à la mémoire : c’est vrai que j’attendais plus longtemps avant d’aller prendre Victoria dans mes bras quand elle pleurait, alors que pour David, au même âge, j’étais près de lui dans la seconde ! Alors que j’avais allaité huit mois mon fils, j’avais arrêté de donner le sein à Victoria deux mois après avoir accouché, sous prétexte que je me sentais fatiguée. En fait, je n’arrêtais pas de comparer mon attitude avec l’un et l’autre, et je me culpabilisais de plus en plus.

Tout cela me minait, mais je n’osais pas en parler à mon mari de peur qu’il ne me juge. En fait, je n’en parlais à personne, tellement je me sentais une mauvaise mère avec ma fille. J’en perdais le sommeil ! Victoria, il est vrai, était une petite fille un peu coléreuse, mais en même temps, elle me faisait tellement rire quand nous jouions ensemble. Je me sentais mal dans ma peau d’avoir de telles pensées. Je me rappelais aussi que, pendant ma deuxième grossesse, j’avais eu très peur de ne pas être capable d’aimer mon deuxième enfant avec la même intensité que le premier. Et voilà qu’en fait ça semblait arriver…

Préférer un de ses enfants : j'ai consulté une psy formidable

Mon mari était très souvent absent à cause de son travail, mais il s’apercevait bien que je n’étais pas au top. Il me posait des questions auxquelles je ne répondais pas. Je me sentais trop coupable par rapport à Victoria… même si elle semblait grandir sans gros problème. Je commençais même à me sentir déprimée. Je ne me trouvais pas à la hauteur ! Une de mes amies les plus proches m’a alors conseillé d’aller consulter un psychothérapeute pour comprendre ce qui se passait dans ma caboche ! Je suis tombée sur une “psy” formidable, à qui j’ai pu me confier. C’était la première fois que je parlais à quelqu’un de mon désarroi devant mon impression de préférer mon fils à ma fille. Elle a su trouver les mots pour m’apaiser. Elle m’a expliqué que c’était beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense. Mais que ça restait un sujet tabou, tellement les mamans se sentaient coupables. Au fil des séances, j’ai compris que l’on n’aime pas ses enfants de la même manière, et que c’est normal d’avoir une relation différente avec chacun d’entre eux. Se sentir, selon les moments, plus en phase avec l’un, puis avec l’autre, était on ne peut plus classique. Le poids de ma culpabilité, que je traînais avec moi, a commencé à diminuer. J’étais soulagée de ne pas être un cas. J’en ai enfin parlé avec mon mari qui tombait un peu des nues. Il voyait bien que je manquais de patience avec Victoria, et que je traitais David comme un bébé, mais il pensait que toutes les mères avaient un petit faible pour leur fils. Nous avons décidé ensemble d’être très vigilants. Victoria ne devait jamais penser qu’elle était le “vilain petit canard” de sa maman et David croire qu’il était le “chouchou”. Mon mari s’est arrangé pour être plus présent à la maison et s’occuper davantage des enfants.

Sur le conseil de ma “psy”, j’emmenais à tour de rôle chacun de mes petits faire une balade, aller voir un spectacle, manger un Mac-Do, etc. Je restais plus longtemps auprès de ma fille quand je la couchais et je lui lisais un tas de livres, ce que je faisais très peu jusqu’ici. J’ai réalisé un jour, qu’en fait, ma fille avait beaucoup de traits de caractère communs aux miens. Manque de patience, soupe-au-lait. Et ce caractère un peu fort, ma propre mère me l’a reproché durant toute mon enfance et adolescence ! Nous étions deux filles, et j’ai toujours pensé que ma mère préférait ma sœur aînée parce qu’elle était plus facile à vivre que moi. En fait, j’étais dans la répétition. Mais je souhaitais plus que tout sortir de ce schéma et rectifier le tir tant qu’il était encore temps. En un an de thérapie, je crois avoir réussi à rétablir l’équilibre entre mes enfants. J’ai arrêté de me sentir coupable le jour où j’ai intégré qu’aimer différemment ne veut pas dire aimer moins…"

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