Je suis une “mumrexique”

Publié par Gisèle Ginsberg  |  Mis à jour le par

Anorexique durant de longues années, Katia, 28 ans, est aujourd’hui maman d’une petite Lola de 2 ans. Elle a dû se battre contre ses démons pour enfin accepter les kilos de sa grossesse.

Ancienne anorexique, j'ai dû me battre contre moi-même pour accepter les kilos de la grossesse

Anorexique. Cette étiquette m’a pesé sur les épaules pendant des années. Cette maladie, car c’en est bien une, fut ma fidèle compagne de l’âge de 15 ans jusqu’à mes 22 ans. A 15 ans, en effet, ma vie a basculé quand j’ai voulu faire un régime avant l’été parce que je pensais que j’avais quelques kilos en trop. Et malgré moi, je suis tombée dans un terrible engrenage… J’ai d’abord éliminé les aliments comme le fromage, le chocolat, le pain, le beurre, les pâtes, les gâteaux, pour finir par quasiment ne plus rien avaler ou presque. Je ne mangeais que le strict minimum pour ne pas tomber, à savoir, par exemple, un demi-pamplemousse le matin, une pomme le midi, et le soir du fromage blanc à 0 %. J’ai fini par atteindre un poids de 38 kg pour 1,65 m. Mes règles se sont arrêtées, ce qui m’arrangeait plutôt. C’est vrai que j’avais toujours froid, je commençais à perdre mes cheveux, mais je me trouvais très bien comme ça. Mes parents ont tout essayé pour me sortir de là, mais moi, je n’avais pas conscience que j’étais malade. J’étais dans un déni total  : je me trouvais même super belle avec mes os saillants alors qu’avec le recul, je sais que j’étais un squelette ambulant.

Au bout de trois ans, ma santé s’est vraiment altérée : j’étais très rapidement essoufflée, fatiguée en permanence, ma tension était très faible : les médecins ont voulu m’hospitaliser, je n’étais pas d’accord. Mais je n’avais pas la force de me battre et j’ai laissé faire. Les deux premières hospitalisations ont été des échecs mais à la troisième, j’ai accepté de me nourrir de nouveau à peu près correctement. Mes règles sont revenues, j’ai repris doucement du poids sans en faire un drame, même si, en vérité, cela ne me plaisait pas plus que ça. Et puis, j’ai fait une rencontre qui a transformé ma vie : j’ai eu le coup de foudre pour un étudiant de ma fac et par bonheur, ce fut réciproque. J’ai mis du temps à lui parler de mon passé d’anorexique tant j’avais honte de ces années peu reluisantes. Au bout de deux ans de vie commune, Aurélien a exprimé le désir d’avoir un enfant avec moi. Je dois dire que je n’ai pas sauté de joie. L’idée me faisait peur. Ce que je craignais, ce n’était pas de devenir maman, c’était la grossesse. Celle-ci était synonyme de prise de poids et je n’imaginais pas mon corps se déformer ! Bien sûr, c’étaient sans doute des séquelles de mon long passé d’anorexique. Aurélien essayait bien de dédramatiser tout ça en me disant que je serais jolie comme un cœur avec un petit ventre rond… Avec le temps, je me suis habituée à l’idée, et un an après environ, je suis tombée enceinte. Le jour où j’ai vu que le test de grossesse était positif fut un moment de bonheur très fort, car je revenais quand même de loin.

Le début de ma grossesse s’est déroulé sans trop de problèmes, à part quelques nausées assez désagréables. Je mangeais de tout, je me faisais plaisir, mais les choses se sont compliquées à la fin du troisième mois. Évidemment, j’ai commencé à prendre du poids et du coup, j’ai flippé à mort. C’était totalement irrationnel puisque je savais pertinemment que j’allais grossir. J’avais pris 3 kg, ce qui n’est pas excessif en soi, mais soudain, une peur incontrôlable m’a envahie, celle de devenir énorme au bout des neuf mois. Mes vieux démons reprenaient le dessus ! Paniquée, j’ai décidé d’une minute à l’autre de faire un régime. Je savais que j’allais faire n’importe quoi, mais c’était plus fort que moi. Je voulais prendre le minimum de kilos pendant ma grossesse. Évidemment, Aurélien, ma mère, mon médecin m’ont dit que c’était de la folie, mais rien n’y faisait, je restais sur mon idée de régime. J’ai diminué énormément mon alimentation durant deux mois, résultat des courses, j’ai arrêté de grossir. Heureusement pour moi et pour mon bébé, j’ai passé une échographie au cinquième mois. Et là, le médecin m’a dit que mon bébé était très petit et surtout qu’il ne prenait plus de poids depuis la dernière échographie. Il m’a dit très gravement que c’était dangereux pour son développement futur. Il m’a expliqué qu’une femme devait prendre au minimum 7 kg pendant sa grossesse, ce qui représente le poids du fœtus, du placenta et du liquide amniotique. Il m’a dit que je risquais d’accoucher prématurément si je continuais à ne presque rien manger, et que, même si j’arrivais à terme, mon enfant risquait d’être tout petit, avec tout ce que cela implique de complications. Et là, c’est comme si ce médecin m’avait donné un énorme coup sur la tête. J’ai éclaté en sanglots et j’ai enfin pris conscience que je mettais en danger la vie de mon bébé.

Très vite, Aurélien m’a poussée à revoir la psychothérapeute qui m’avait suivie pendant mes années d’anorexie, et avec son soutien, j’ai pu surmonter cette épreuve. Petit à petit, je me suis nourrie de nouveau normalement, sans me priver, mais sans me goinfrer non plus, et j’ai repris progressivement du poids. Tout est rentré dans l’ordre, même si à chaque fois que je prenais un kilo, je m’angoissais à l’idée de tous les efforts que j’aurais à faire pour le perdre. Mais quand mon bébé se mettait à bouger, j’oubliais tout le reste et je savourais le moment présent. Je lui parlais tout doucement en caressant mon ventre : « Ne t’en fais pas mon amour, maman va arrêter toutes ses bêtises. »

A l’approche de l’accouchement, j’avais pris 10 kg, ce qui est plutôt raisonnable pour quelqu’un comme moi, qui a été si longtemps obsédée par son poids. J’évitais quand même de trop me regarder dans la glace car je ne me reconnaissais pas du tout dans le reflet de cette femme à gros ventre. Aurélien avait beau me dire que j’étais splendide, j’étais dubitative, c’est le moins que l’on puisse dire. Enfin, j’ai accouché à terme d’une petite Lola qui pesait 3 kg. J’étais très fière de moi d’avoir pu mettre au monde cette merveilleuse petite fille, même si je me suis longtemps culpabilisée de l’avoir mise en danger pendant cette période de début de grossesse que j’appelle ma “rechute”. Aujourd’hui, Lola a 2 ans et demi et se porte comme un charme. Je fais très attention de ne pas me focaliser sur ce qu’elle mange ou ne mange pas ! D’ailleurs, c’est plutôt son père qui s’occupe maintenant de ses repas. Cela s’est fait en accord tacite avec lui. Il vaut mieux être prudent, car je sais que je suis encore fragile. En ce qui me concerne, en sortant de la maternité, je ne me trouvais pas terrible avec le poids que j’avais pris.
On ne se refait pas ! Pour ne pas retomber dans mes travers, je suis allée voir une diététicienne et nous avons établi ensemble des menus équilibrés : « Le mot d’ordre, m’a-t-elle dit, c’est de ne pas vous affamer, mangez des choses qui vous font plaisir et vous allez perdre vos kilos de grossesse petit à petit. » J’ai mis environ huit mois à retrouver mon poids d’avant ma grossesse et j’étais très contente comme ça. Aujourd’hui, j’envisage avec sérénité de donner un petit frère ou une petite sœur à Lola dans un ou deux ans… Et là, plus question de régime. C’est un mot que j’ai banni de mon vocabulaire à tout jamais…

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