J’ai été abusée par mon père

Publié par Elodie-Elsy Moreau  |  Mis à jour le par

Selon une enquête réalisée en 2009 par l’Ifop, 2 millions de victimes en France sont concernées par ces drames familiaux. Parmi elles, Rachel, 25 ans, violée par son père dès l’âge de 6 ans. Cette jeune maman nous raconte son traumatisme et comment elle s’est reconstruite…

Mon père a abusé de moi alors que je n’avais que 6 ans

En témoignant, j’espère donner la force aux victimes de l’inceste ou de pédophilie de parler ou de dénoncer leur bourreau. Même si, je dois l’avouer, c’est difficile. Mon père a abusé de moi alors que je n’avais que 6 ans. En fait, je vivais en France avec ma mère, son compagnon et ma demi-sœur. Celui que j’appelle désormais mon géniteur est reparti sur son île d’origine alors que je n’avais qu’un an. J’étais aimée mais je voyais ma sœur avec son père et sa mère. Je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas droit à ça. J’avais envie de connaître davantage mon père. Je ne l’avais vu qu’en photos. Je le réclamais souvent. Après discussion et réflexion, ma maman m’a donc envoyée à La Réunion l’année de mon CP. J’étais ravie, mais peu de temps après mon arrivée, le cauchemar a commencé. Mon géniteur n’a pas tardé à abuser de moi. Durant cette année, j’étais bien sûr en contact avec ma mère, mais je n’ai jamais osé lui dire ce que je subissais. Même une fois revenue en France. Je suis retournée à La Réunion pendant les vacances d’été, durant deux mois, à l’âge de 8 ans. Bizarrement, je n’ai pas émis de réticence. Ma mère ne pouvait pas se douter de quelque chose. J’étais pressée d’aller voir ma grand-mère, ma famille… sans penser particulièrement à ce que mon père m’avait fait. Je pense même que j’étais contente de le revoir, je n’étais qu’une enfant...

Ma mère a découvert ce qui s’est passé lorsque j’avais 9 ans en lisant mon journal intime. Car je décrivais précisément les scènes en citant « papa ». Au départ, elle a cru que je parlais de mon beau-père. Mais je lui ai tout de suite dit qu’il s’agissait de mon véritable père. Elle s’est écroulée. Elle a pleuré durant des jours et des jours. Elle se sentait coupable de m’avoir envoyée là-bas. J’ai essayé de lui dire que ce n’était pas de sa faute, qu’elle avait simplement voulu bien faire et respecter ma demande. Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais rien laissé transparaître. Je me sentais fautive. Mon géniteur me faisait croire que c’était normal, mais je savais bien que quelque chose clochait. J’étais perdue. Quand elle l’a su, ma maman m’a beaucoup écoutée. Bien sûr, elle a pris contact avec mon père qui a totalement nié. Selon lui, j’étais une vicieuse. Il disait même que je l’avais cherché !  Encore une fois, c’était de ma faute…

A l’époque, mon père vivait chez ses parents. Il y avait aussi mon oncle dans cette grande maison familiale, mais je ne pense pas qu’ils se doutaient de qu’il me faisait endurer. Un jour, j’ai voulu en parler à une cousine alors que j’étais à La Réunion. On était dans ma chambre. Mon père avait laissé, dans un livre, une photo pornographique de lui avec sa petite-amie qu’il m’avait forcée à regarder. J’ai voulu lui montrer et tout dire, mais j’ai renoncé. Je me suis dit qu’elle penserait que j’étais une mauvaise fille. Mon calvaire aurait peut-être pu s’arrêter à ce moment-là…

Ma mère m’a beaucoup soutenue mais je n’aimais pas vraiment me confier. Je n’ai pas voulu avoir de suivi psychologique. Je ne me sentais pas capable de tout raconter à un psychologue. Difficile de se reconstruire après une chose pareille. On a du mal à en parler, on pleure souvent, on y pense sans cesse. Petite, j’avais beaucoup de mal à m’adresser aux autres, notamment aux hommes. Et ma relation avec la gent masculine a été difficile. J’ai même repoussé les garçons à une période. Je me suis dit pourquoi pas les filles…  Mais surtout, je ne sortais pas avec des Noirs, même si j’étais aussi attirée par eux. Je faisais un blocage à cause de mon géniteur. Ça a d’ailleurs été compliqué avec mon compagnon. C’était mon premier petit copain métis. J’ai éclaté en sanglots lors de notre première nuit à deux. La vue de son sexe a ravivé tout ce que j’avais vécu. Fort heureusement, il a été compréhensif. Il m’a écoutée et a su trouver les mots pour me rassurer en me disant qu’il ne me ferait jamais de mal. Il a su être là pour moi et aujourd’hui, nous avons un petit garçon de 3 ans. Je suis une maman comblée mais j’ai extrêmement peur que cela arrive à mon fils. En même temps, je ne veux pas lui transmettre mes angoisses et j’essaie de ne pas trop le surprotéger. Ce qui est atroce, c’est que cela peut venir de la famille, des profs de sport…de partout ! Il est sûr qu’au moindre signe, je serais vigilante, je serais tout de suite en alerte. Je lui ai toujours dit que personne n’avait le droit de toucher ses parties intimes, ni même papa ou maman, qu’il doit m’avertir si quelqu’un tente de lui faire du mal. Je préfère prévenir que guérir. Pour moi, la prévention, c’est primordial ! D’ailleurs, je suis auxiliaire de puériculture, et je pense que mon métier est dû à ce que j’ai subi étant petite. J’ai ce besoin d’être auprès des enfants et de les protéger. On est les premiers en lice pour découvrir les signes de maltraitance, d’abus sexuels. Mon métier m’a aidée à prendre confiance en moi et à m’ouvrir, car j’étais très renfermée sur moi-même avant.
Cette tragédie fera toujours partie de ma vie. Je me suis construite comme ça. Tout le monde à ses secrets et ses douleurs. Mais, aujourd’hui je suis heureuse. J’ai mon fils, un homme qui m’aime, une famille présente. Je ne peux pas dire que je méprise mon géniteur. Je pense que c’est un malade qui devrait se faire soigner, qu’il ne se rendait pas compte de l’impact de ses actes. Je suis marquée pour toujours mais j’ai l’impression de l’avoir presque pardonné. Désormais, j’arrive à en parler sans pleurer. Et si je n’ai pas encore porté plainte, j’y réfléchis fortement aujourd’hui. Beaucoup de choses se passent dans ma tête en ce moment. Tout refait surface. J’ai encore 11 ans pour intenter une action en justice, jusqu’à mes 36 ans. Il a déjà fait cinq de prison pour des faits de pédophilie et il est maintenant en liberté provisoire. Au prochain signalement, il retourne en prison, et ce, pour très longtemps. Vu ce qu’il a fait, ça mérite réflexion. Surtout pour montrer à tout le monde qui il est et pour qu’il ne recommence plus jamais.

Mardi 5 mai 2015, un amendement à une proposition de loi sur la protection de l'enfant a été voté par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale afin de faire inscrire la notion d’inceste dans le Code Pénal. En effet, la loi actuelle ne spécifie que les agressions sexuelles et relations avec mineurs.

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