Eglantine Eméyé : "Samy n’est pas un enfant comme les autres"

Publié par Catherine Marchi, psychologue et coach  |  Mis à jour le par Antoine Blanchet

Dans son livre*, Églantine Éméyé nous parle avec émotion de son amour pour Samy, son fils cadet, polyhandicapé sévère, atteint d’autisme et d’épilepsie. Et pour Marco, son fils aîné. Un témoignage bouleversant pour la vie et le bonheur. Extraits.

Eglantine Eméyé : "Samy n’est pas un enfant comme les autres"

/ Sa naissance

Tu as l’air très bien, un beau bébé qui dort beaucoup, très calme, qui chouine juste assez pour faire savoir qu’il a faim. Je te trouve parfait. Parfois je remue la tétine dans ta bouche, pour jouer, je fais semblant de te la retirer, et tout d’un coup, un merveilleux sourire se dessine sur ton visage, je suis fière, tu sembles déjà faire preuve d’un bel humour ! Mais la plupart du temps, tu ne fais rien.

/ Les doutes

Tu as trois mois et tu n’es qu’une poupée de chiffon, toute molle. Tu ne tiens toujours pas ta tête. Quand j’essaie de t’asseoir, les fesses sur mes genoux, ma main soutenant ton ventre, tout ton corps s’affale. Aucun tonus. Je l’ai déjà signalé au pédiatre qui n’a pas l’air de s’en préoccuper. Il paraît que je suis trop impatiente. (…) Tu as quatre mois et tu continues à ne rien faire. Je commence à m’inquiéter sérieusement. D’autant que tes grands-parents, qui ne mâchent pas leurs mots, font des remarques qui m’interpellent et me blessent : « Il manque peut-être de stimulations, c’est trop calme chez toi » me suggère ma mère. « Il est vraiment mignon, un peu lent, mollasson, mais vraiment mignon » martèle mon père, tout sourire.

/ Le "diagnostic"

Samy. Mon fils. Mon tout-petit. Il n’est pas un enfant comme les autres, c’est sûr. Un accident vasculaire cérébral décelé à quelques mois à peine, une épilepsie, un cerveau lent, et c’est tout ce que l’on sait. Pour moi, il est autiste. Je vais, comme l’a fait Francis Perrin, suivre les nouveaux programmes que certains ont réussi à importer en France, et qui, paraît-il, font faire des progrès à ces enfants. ABA, Teach, Pecs, tout ce qui pourra aider Samy, je le ferai.

/ Marco, son grand frère

Tu avais trois ans quand Samy a débarqué dans ta vie, tu l’attendais, comme n’importe quel grand frère, jaloux, mais qui veut bien croire ce que sa maman lui dit, un frère c’est un compagnon de jeu avec qui on se dispute parfois, mais ça reste un copain à vie. Et rien de tout ça n’est arrivé.
Dehors tu décomplexes bien des situations : « Ne vous inquiétez pas, c’est normal, il est autiste, il a une maladie dans la tête » annonces-tu tout de go aux gens qui nous regardent, mal à l’aise, pendant que Samy se balance curieusement en poussant des petits cris. Mais tu peux me dire aussi avec une pointe d’humour parce que tu n’en manques pas : « Et si on l’abandonnait là, maman ?.. Je blaaaaagueuh ! »
(…) Cet été, c’est celui des deux ans de Samy. Marco s’enthousiasme. On va faire une fête, hein maman ?
- Dis maman, à quelle heure, on fait l’anniversaire de Samy ?
- Ce soir au dîner sans doute. Pourquoi ?
– Ah c’est pour ça… Il faut attendre ce soir alors.
- Attendre quoi ? je demande
- Ben qu’il change ! qu’il aille mieux ! Ce soir puisqu’il aura deux ans, ce ne sera plus un bébé, tu vois, ce sera un enfant, donc il va marcher, sourire, et je pourrai enfin jouer avec lui ! me répond Marco dans une magnifique innocence.
Je lui souris tendrement et m’approche de lui. Je n’ose pas briser son rêve trop nettement.

/ Les nuits difficiles

Samy a de grosses crises la nuit, il est trop violent envers lui-même. Ses joues sanguinolentes n’ont plus le temps de cicatriser. Et moi je n’ai plus la force de lutter contre lui toute la nuit, pour l’empêcher de se faire mal. Puisque je refuse l’idée d’un médicament supplémentaire, je décide de concevoir une camisole. Cette combinaison est une des meilleures idées que j’ai jamais eues. La première fois que je l’y ai mis, une fois fixées les bandes Velcro, j’ai cru les avoir trop serrées… Il avait l’air parfaitement bien, le regard apaisé, content… J’ai senti sous mon corps ses muscles se détendre. La nuit qui a suivi n’a pas été excellente mais Samy a moins crié, et il n’a pas pu s’automutiler. Ceci étant, les nuits sont devenues nettement meilleures pour nous deux. Je ne me levais plus toutes les deux heures pour l’empêcher de se faire mal…

/ Le regard des autres

Ce matin j’emmène Samy à la halte-garderie. Je fais mon créneau. Deux hommes attablés au café m’interpellent : « Dites donc Mademoiselle ! Vous l’avez trouvé où votre macaron handicapé ? Dans une pochette-surprise ? Ou alors vous connaissez quelqu’un de bien placé ? Oui ça doit être ça, une jolie fille comme vous ! »
Suis-je censée apprécier le compliment ou me rebiffer devant leurs sarcasmes ? Je choisis l’honnêteté. Je me retourne et, tout en ouvrant la portière de Samy, leur décoche mon plus beau sourire « Non Messieurs. Je l’ai eu en cadeau à la naissance de mon fils ! Si vous voulez je vous le donne. Enfin je vous les donne. Parce que ça va ensemble. »

/ Une famille recomposée

Richard s’est parfaitement adapté à ma vie de fou. Normal, fou, il l’est un peu lui-même. Telle une bourrasque d’air frais, avec son humour franc, sa joie de vivre, sa franchise, de celles qui heurtent parfois, mais qui est souvent bonne à dire, et son énergie, il a ajouté son étincelle de vie à la nôtre. Il débarque, fait la cuisine, prend Samy dans ses bras, et surtout, permet à Marco de s’alléger du poids qu’il a fini par se mettre sur les épaules. Et puis Richard a une fille, Marie, du même âge que mon grand. Les deux enfants se sont immédiatement entendus à merveille. Une vraie chance. Et maternelle comme peuvent l’être les petites filles, elle se précipite dès que Samy se cogne, propose son aide pour les repas, le faire jouer.

/ Merci Samy !

Mais Samy a des avantages. Lui aussi prend part à la vie de famille hors norme que nous avons et, à sa manière, il nous sauve de bien des situations. Et dans ces cas-là, Marco et moi le gratifions de toute notre reconnaissance. Il nous arrive par exemple, de nous servir de Samy dans un magasin. Et pas seulement pour éviter la queue et passer devant tout le monde (oui je l’avoue, je suis bien contente de le faire, même quand, miraculeusement, Samy est calme de jour-là, et que rien ne justifie que je brandisse sa carte de handicap pour passer plus vite à la caisse), parfois juste pour le plaisir de remettre quelqu’un à sa place. Il est comme ça, mon petit Samy, idéal pour nous donner de l’air ! Avec lui, finis les pots-de-colle, le manque d’espace dans le métro, ou même au square. Curieusement, dès que nous débarquons quelque part, le vide se fait autour de nous, et à nous la place !  
"Le voleur de brosses à dents", d’Églantine Éméyé, éd. Robert Laffont, parution le 28 septembre 2015. Animatrice de “Midi en France”, sur France 3, et journaliste sur “RTL week-end” auprès de Bernard Poirette. Elle est également fondatrice et présidente de l’association “Un pas vers la vie”, créée en 2008 pour les enfants autistes.

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