Les tablettes tactiles pour bébé

Publié par Elodie-Elsy Moreau  |  Mis à jour le

Pour ou contre les tablettes tactiles pour bébé ?

Le marché des tablettes tactiles est en pleine expansion. Et désormais, Bébé peut même avoir la sienne puisque plusieurs marques proposent des modèles destinés aux tout-petits. Mais que penser de ces jouets interactifs ? Ces objets high-tech sont-ils bénéfiques pour l’éveil des tout-petits ? Eléments de réponse avec les psychanalystes Michaël Stora et Serge Tisseron.

Aujourd’hui, les écrans sont omniprésents dans le quotidien des parents et des enfants. Selon une récente étude* réalisée auprès de 300 mères de famille, 80 % des bambins de 1 à 6 ans utilisent la tablette ou le Smartphone de leurs parents. Et depuis peu, plusieurs marques proposent des tablettes pour les tout-petits, parfois accessibles dès… 18 mois. Mais n’est-ce pas une immersion trop précoce dans le monde des nouvelles technologies ? Pour Michaël Stora, psychologue, psychanalyste et fondateur de l’Observatoire des mondes numériques, présent lors d’une conférence de presse sur le sujet, les jeux vidéo ou sur tablette stimulent le désir de progresser. « Il y a une mise en scène des récompenses : c’est en perdant qu’on apprend à gagner. Les tablettes sont des objets de médiation pour apprendre.  Et l’enfant adore jouer par « essai-erreur ». En fait, la mauvaise réponse lui permet de trouver la bonne, alors qu’à l’école ou dans la société, la mauvaise solution est sanctionnée », explique le spécialiste. Michaël Stora compare le jeune joueur  à un « petit scientifique » qui recherche la réponse exacte. « Cela est très intéressant entre 1-6 ans, âge où l’enfant est dans une toute puissance ». Mais tous les spécialistes ne sont pas d’accord sur la question. En effet, Serge Tisseron, psychologue et psychanalyste, est beaucoup moins favorable aux tablettes pour bébé. Selon lui, « l’enfant a d’abord besoin de repères spatiaux (interactions impliquant ses différents sens) et temporels que seuls les jouets traditionnels et les livres permettent d’acquérir ». Comme il l’explique, la narrativité qu’offrent les histoires permet de développer la mémoire évènementielle de l’enfant. En fait, pour comprendre une nouvelle situation, « l’enfant doit se souvenir de ce qu’il a entendu ou lu précédemment ». Or, en ayant accès trop tôt et trop fréquemment aux écrans, les enfants peuvent avoir « des difficultés à construire une pensée logique et organisée ».

Les tablettes, vrais ou faux jouets d’éveil ?

 « Comme disait Freud, il n’y a pas d’apprentissage sans expérience hédonique, sans plaisir. Le ludique est essentiel pour s’approprier une information », souligne Michaël Stora. Pour le psychologue, ce mode de jeu permet de mettre l’accent sur la "proprioception" : l’enfant a conscience qu’il est bien l’auteur des actes. « Nous sommes dans l’ère des « Digital natives ». L’enfant adore manipuler l’image et se l’approprier. Le tactile, c’est intuitif chez le tout-petit ». Mais Serge Tisseron précise qu’il s’agit uniquement du "tactile épicritique" (le toucher fin). Il rappelle que sur les tablettes, les enfants ne peuvent pas exercer le "tactile protopathique", consistant à sentir la constitution de l’objet. « L’enfant a besoin de simulations multi-sensorielles, mais ce type de jeux ne stimule que l’audition, la vue et le toucher fin. Le bébé ne peut pas jeter son jouet par terre, ou le mettre à la bouche, ce qui est important pour le développement du tout-petit », explique Serge Tisseron.

Non à la « nurse digitale »

Les deux spécialistes s’accordent sur un point : les parents doivent toujours accompagner leur enfant lorsqu’il utilise la tablette. Pour Michaël Stora, cet outil « peut combler une forme de séparation entre le petit et ses parents, sans pour autant remplacer la maman. Les adultes doivent toujours commencer par jouer avec l’enfant. C’est une manière de partager un instant de plaisir. Avec le temps, le petit pourra y jouer tout seul », explique-t-il. Pour Serge Tisseron, l’accompagnement des parents est également essentiel. Même s’il recommande de limiter le plus possible les écrans avant l’âge de 3 ans, le psychanalyste estime que les enfants peuvent profiter des objets numériques, mais durant de courtes durées. « Les tablettes peuvent être utilisées mais en complémentarité des jouets traditionnels. Et il est préférable de choisir des jeux incluant une narration ». Le docteur Tisseron conseille également aux parents de commenter les jeux, d’expliquer le cheminement de l’histoire : « il est important d’apporter de l’extérieur aux écrans, des repères de temporalité et de causalité. Les nouvelles technologies sont prometteuses mais les possibilités pour les bébés sont encore limitées. Et acheter une tablette uniquement pour un tout-petit me semble inutile », conclut le spécialiste.
Au final, c’est à vous de voir si vous souhaitez ou pas initier votre tout-petit aux tablettes numériques. Mais que vous lui prêtiez la vôtre ou lui en offriez une spécialement conçue pour les jeunes enfants, un mot d’ordre s’impose : y jouer avec modération.

*Institut des mamans, mai 2012

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